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travailleurs se divisent en escouades ou cuadrillas de douze personnes ; chaque cuadrilla, commandée par un capataz, — c’est ainsi qu’on nomme le maître-valet chargé de la surveillance, — se répand dans la vigne et la vendimia commence.

C’est un rude et fatigant métier que celui de vendangeur en Andalousie, aussi est-il réservé exclusivement aux hommes, et n’y voit-on jamais, comme dans certaines parties de la France, des femmes se mêler aux travailleurs.

Il faut voir ces robustes Andalous, au teint bronzé, travailler des journées entières malgré l’ardeur d’un soleil africain, n’ayant, pour abriter leur tête, qu’un vieux sombrero calañes et souvent un simple foulard dont les coins retombent sur le cou. Une petite serpette et une cuve de bois sont leurs seuls instruments ; cette cuve à la forme d’une pyramide renversée et tronquée à la partie inférieure ; on l’emploie à l’exclusion des paniers, qui pourraient laisser filtrer un jus précieux à travers leur tissu ; précaution qui n’est pas indifférente quand il s’agit d’un vin dont le prix s’élève souvent à plus de deux cent cinquante réaux l’arroba[1]. Une fois que la cuve de bois est remplie, les vendangeurs la chargent sur leur dos au moyen de deux courroies, comme on ferait d’une hotte.

Avant qu’une vigne soit entièrement vendangée, il faut que les travailleurs la parcourent bien des fois en tous sens, car il leur est recommandé de choisir les grappes, c’est-à-dire de ne cueillir que celles dont la maturité est parfaite, ce qui est très-important pour la bonne qualité du vin.

À mesure que le raisin est cueilli, on l’étend sur de grandes claies de jonc — esteras de esparto — qu’on étend au soleil à proximité du pressoir ; on le laisse ainsi exposé quelques jours, en ayant soin de le couvrir pendant la nuit, pour le mettre à l’abri de la rosée, et retourner les grappes de temps en temps, afin que la chaleur fasse évaporer la partie aqueuse du raisin.

Lorsque les grappes sont parfaitement sèches, on les porte aux lagares, — aux pressoirs, — où elles sont soumises à l’action de presses mues par des bras vigoureux ; il en sort du vin doux — mosto — qu’on verse dans les tonneaux, où on les laisse le temps nécessaire pour que la fermentation se produise. La fermentation est ordinairement terminée au mois de janvier, et alors le mosto devient de vrai vin ; on enlève la lie et on le laisse reposer jusqu’à l’époque où il doit être exporté.

Les vins de Jerez ne sont jamais expédiés sans avoir été préalablement clarifiés ; on emploie pour cela des blancs d’œufs qu’on mélange avec une craie ou terre blanche qui se trouve dans les environs de Jerez ; cette opération terminée, on ajoute un peu de vino madre (vin mère), — c’est ainsi qu’on appelle un vin très-vieux qu’on garde pour améliorer les autres.

Il ne sort pas de Jerez une bota de vin qui n’ait été plus ou moins mélangée d’aguardiente ; cette addition d’eau-de-vie a pour but de permettre au vin de mieux supporter l’exportation et de satisfaire le goût de certains palais, notamment de ceux de nos voisins d’outre-Manche, plus ou moins blasés par le gin et le whisky. On nous assura que la proportion ordinaire est d’un litre d’eau-de-vie pour soixante litres de vin, mais notre conviction est qu’elle est presque toujours plus considérable.

Les vins de Jerez se divisent en secos et dulces. Parmi les premiers, il faut distinguer le jerez seco, proprement dit, et le jerez amontillado ; tous deux proviennent du même raisin, du même mosto, et souvent même sont sortis du même pressoir, et cependant ils n’ont ni la même couleur, ni la même odeur, ni le même goût ; ces différences tiennent, nous a-t-on dit, à certains procédés de fabrication.

Le jerez seco se distingue par un parfum aromatique tout particulier, plus prononcé que celui de l’amontillado ; il y en a de trois sortes qu’on appelle, à Jerez, paja, oro et oscuro, c’est-à-dire paille, couleur d’or et foncé. Le jerez oscuro, d’un brun foncé, est presque entièrement expédié en Angleterre, après avoir subi, tout naturellement, une forte addition d’eau-de-vie ; c’est ce vin qu’on boit à Londres sous le nom de brown sherry, — jerez brun.

Quant au jerez amontillado, il est d’une couleur de paille plus ou moins foncée ; sa saveur, dans laquelle les amateurs reconnaissent un certain goût de noisette, est beaucoup plus riche et beaucoup plus fine, et le fait rechercher davantage des gourmets au palais délicat ; aussi le jerez amontillado se vend-il ordinairement plus cher que l’autre. Le nom d’amontillado vient d’une certaine analogie que le vin présente avec celui qu’on récolte à Montilla, dans la province de Cordoue.

Les vins doux de Jerez sont le pajarete, qu’on appelle chez nous pacaret, qui est également connu sous le nom de pedro-jimenez, et le moscatel, ou muscat. Le premier se fait avec un raisin doux qu’on appelle également pajarete, et qu’on laisse exposé au soleil pendant une douzaine de jours ; quand on le porte au pressoir, il est presque arrivé à l’état de raisin sec et contient une grande quantité de sucre. Le moscatel se fait avec du raisin muscat plus sucré que le pajarete ; aussi est-il plus doux encore que le vin.

Le jerez est un des vins qui se conservent le plus longtemps ; on nous en fit goûter qui avait quatre-vingts ans et plus. Les grands propriétaires de Jerez accueillent avec la plus parfaite courtoisie les étrangers qui leur sont recommandés ; les lagares (pressoirs) et les bodegas, immenses celliers où l’on emmagasine le vin, leur sont facilement ouverts. Vues de l’extérieur, ces bodegas aux immenses façades régulières et symétriques dénuées de fenêtres, aux toits composés de lignes droites, manquent absolument de pittoresque ; mais, en revanche, les parfums qui s’exhalent des fenêtres frappent agréablement l’odorat des passants, et il y a certains

  1. Un peu plus de quatre francs le litre.