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Page:Le Tour du monde - 12.djvu/92

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trale qui est en même temps la plus courte, et ceci avec d’autant moins d’hésitation, que nous espérions trouver de l’eau chez les peuplades qui conduisent leur bétail de ce côté. Vers le soir, la caravane s’arrêta dans le voisinage de quelques sources où les bergers n’étaient probablement pas venus de l’année ; leurs eaux, que l’homme ne saurait boire, servirent du moins à rafraîchir nos bêtes de charge. Pas un de nous n’était complétement valide. Abattus, à demi-morts, l’espoir légitime d’un salut prochain nous donnait un peu de courage.

Je n’étais plus en état de quitter sans aide ma haute monture ; on me coucha par terre ; un feu dévorant semblait brûler mes entrailles ; le mal de tête me stupéfiait. Mais c’est en vain que je cherche à donner la moindre idée du martyr causé par la soif ; la mort elle-même, je le crois fermement, n’est pas accompagnée de souffrances plus cruelles. En face d’autres périls, je n’ai jamais trouvé la lutte au-dessus de mon courage ; ici, je me sentais brisé, abattu, anéanti et je me croyais parvenu au terme de mon existence. Vers minuit, le convoi se remit en marche, un lourd sommeil m’envahit bientôt et le matin, en ouvrant les yeux, je me trouvai dans une hutte d’argile, entouré de gens à longue barbe que je reconnus à l’instant même pour des enfants de l’Iran. « Vous n’êtes certainement pas un Hadji, » me disaient-ils. La force me manquait pour répondre. Ils me firent d’abord avaler je ne sais quelle boisson chaude et peu après un mélange de lait aigre, d’eau et de sel (on l’appelle airan) qui me restaura et me remit sur pieds.


Un marché à cheval, à Shourakhan (Khirghis) (voy. p. 87). — D’après Vambèry.

Je constatai, seulement alors, que mes compagnons et moi nous étions redevables de cette hospitalité à un certain nombre d’esclaves persans, chargés de venir en plein désert, à dix milles de Bokhara, soigner les troupeaux de leurs maîtres ; ceux-ci leur fournissent une très-petite quantité d’eau et de pain, jamais assez pour les mettre en état de s’approvisionner en vue d’une évasion quelconque. Et cependant, ces pauvres exilés n’avaient pas hésité à partager ces rares aliments avec des mollahs sunnites, c’est-à-dire avec les pires ennemis de leur race. Ils me témoignèrent des égards particuliers quand ils virent que je parlais leur langue natale, non que le persan ne soit également usité dans le Bokhara, mais ce n’est pas tout à fait celui dont on se sert dans l’Irani.

Parmi eux, touchant spectacle, se trouvait un enfant de cinq ans, esclave, lui aussi, et d’une rare intelligence. Il avait été fait prisonnier deux ans plus tôt, en même temps que son père. Questionné par moi sur le sort de ce dernier, il me répondit en toute confiance : « Mon père a trouvé moyen de se racheter et ne me laissera dans les mains de ces gens-ci que jusqu’à ce qu’il ait amassé la somme nécessaire pour payer ma rançon, ce sera tout au plus l’affaire de deux années. » Le pauvre enfant abritait à peine sous quelques misérables haillons ses membres grêles et sans ressort. Sa peau, tannée en quelque sorte, avait pris la couleur du cuir. Je lui donnai un de mes vêtements, dans lequel il m’assura qu’il se ferait tailler un costume complet.

Ces malheureux Persans nous laissèrent emporter une partie de leur eau. Je les quittai avec un mélange