Page:Le Tour du monde - 14.djvu/100

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nisme a rapprochées[1], habitent ce village qui compte dix-huit maisons. Ces tribus sont celles des Mayorunas de la rive droite de l’Amazone et des Orejones de la rivière Napo. Dix maisons en torchis et couvertes en chaume, dans le genre de celles que nous laissons derrière nous, sont affectées aux Mayorunas ; les huit autres sont habitées par des Orejones.

Une grande chaumière destinée à servir d’église, n’était pas encore achevée bien qu’on y travaillât depuis cinq ans. Les soliveaux et les perches qui devaient soutenir sa toiture, gisaient sur le sol à demi recouverts par la végétation. Cette incurie des habitants du lieu à l’égard des choses du culte, nous donna de leurs sentiments religieux une triste opinion. Au reste le moment était mal choisi pour visiter Pucallpa. Il était trois heures de l’après-midi, et sa population vaguait dans les bois. Deux hommes sans chemise, mais vêtus de culottes de toile, s’étaient constitués les gardiens du village et s’occupaient à radouber une pirogue. Ces individus, qui n’étaient ni Orejones ni Mayorunas, dirent à mes rameurs que s’ils avaient quelque affaire à traiter avec les habitants de Pucallpa, ils les trouveraient infailliblement chez eux, soit ce même jour après le coucher du soleil, soit le lendemain avant le lever de cet astre. Mes gens éclatèrent de rire au nez de ces individus.

Avant de prendre le large, je grimpai sur le rouffle de l’égaritea d’où je fis un dessin de Pucallpa. Ce village élevé de douze pieds au dessus du niveau du fleuve et caractérisé par des massifs de verdure et de grands palmiers, lisières qui semblaient le rattacher à la forêt vierge, avec laquelle il n’avait pas encore rompu, ce village avait vraiment bon air. Tout en reproduisant sa physionomie, je me disais que le cachet abrupt et pittoresque que j’admirais en elle, lui serait ravi tôt ou tard et qu’un défrichement bien nu, bien plat, bien monotone, remplacerait sa beauté naturelle. Deux heures après notre sortie de Pucallpa, nous nous arrêtions devant l’embouchure de la rivière Napo.

Embouchure de la rivière Napo.

Soit que M. de La Condamine ait évalué à simple vue la largeur des affluents de l’Amazone, soit qu’il l’ait mesurée à l’heure d’une crue, le total de nos chiffres est toujours au-dessous du sien. Aux trois hamacs de fil d’écorce que nous avions dévidés sur l’Ucayali, et qui nous avaient fourni un assez long bout de ficelle, destiné à suppléer à l’absence d’un graphomètre, nous en avions ajouté deux autres en sortant de Nauta, afin d’atteindre aux mesures que l’illustre académicien a données des tributaires du grand fleuve et en vérifier la justesse. Or l’embouchure du Napo que d’après sa relation nous croyions large de douze cents mètres, n’en a réellement que huit cent deux. Il est vrai qu’après un laps de temps de cent vingt années, et eu égard à la quantité d’eau que la pauvre rivière a dû fournir à l’Amazone, pendant cette période, on ne pourrait, sans être injuste à son égard, lui reprocher publiquement ce rétrécissement de trois cent quatre-vingt dix-huit mètres de son lit primitif. Aussi ne notons-nous le fait que pour mémoire et sans le faire suivre d’aucune réflexion.

Si l’origine du Napo n’était connue du moindre élève en géographie, nous dirions qu’il sort des pentes orientales du volcan de Cotopaxi dans la république de l’Équateur ; que dans le trajet qu’il parcourt avant d’atteindre l’Amazone, il reçoit les eaux de nombreux tributaires dont les principaux sont : l’Azuela ou Aguarico, le Coca et le Curaray ; que la plupart de ces affluents sont aurifères, etc. — Mais le tracé du Napo est ici superflu et nous n’avons à relever que sa seule embouchure.

Un pâté de verdure appelé Mango-isla, divise cette

  1. Il s’agit ici, comme on le pense bien, d’une fraction infime de ces tribus. Les Orejones et les Mayorunas qui vivent séparés par le lit du fleuve et à une assez grande distance, se voient à peine et n’ont entre eux aucunes relations.