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Les pins de l’avenue de Benten sont minces, élancés, très-élevés, et, pour la plupart, régulièrement inclinés par l’action continue des brises de la mer. Ils supportent de distance en distance de longues perches transversales, auxquelles les bonzes suspendent dans les jours de fêtes des inscriptions, des guirlandes, des bannières flottantes.

L’allée se termine par un second tori, moins haut que le premier, comme cela doit être pour ajouter à l’effet de la perspective. À mesure que l’on s’en approche, on est tout surpris de découvrir que l’avenue fait un coude et se prolonge à droite. Ici encore, tout est mystère : voilà un terrain vague, couvert de hautes herbes, de broussailles, et de légers pins sylvestres, au feuillage aérien ; à notre gauche, la nappe d’eau calme et transparente du petit golfe formé par un bras de la rivière, et en face de nous un pont de bois, construit avec une austère élégance, spacieux et très-bombé, derrière lequel on distingue un troisième tori, se détachant sur l’épais feuillage d’un massif de grands arbres. Tout cet ensemble forme un tableau étrange, propre à saisir l’esprit d’une secrète appréhension. C’est par ce pont, dont les piliers sont revêtus d’ornements en cuivre, que nous abordons enfin le lieu sacré. Le troisième tori, orné, au sommet, d’une inscription en lettres d’or sur un fond noir, est tout entier d’un beau granit d’une blancheur remarquable, ainsi que les monuments funéraires disposés avec goût sur la gauche de l’avenue. Le temple est devant nous, presque entièrement caché par le feuillage des cèdres et des pins qui l’entourent. À peine distinguons-nous sous leur mystérieux ombrage, les escaliers où s’agenouillent les gens qui viennent faire leurs dévotions devant l’autel de la déesse. Si le temple est désert, ils peuvent appeler l’un des bonzes de service, en agitant, au moyen d’une longue bande d’étoffe, un gros paquet de grelots attaché au portail. Aussitôt le bonze sort de son réduit, et vient, selon qu’on le lui demande, donner des conseils, distribuer des cierges ou des amulettes, prendre l’engagement de réciter des prières, enfin promettre de dire des messes basses ou des messes en musique : le tout, bien entendu, moyennant finance.

Yakounines (fonctionnaires civils et militaires) rentrant en quartier. — Dessin de A. de Neuville d’après une photographie.

Avant de se présenter devant le sanctuaire, tout Japonais doit se laver et s’essuyer la figure et les mains : à cet effet, l’on a disposé à quelque distance du temple, sur la droite, une petite chapelle contenant le bassin d’eau bénite destinée aux ablutions, et des serviettes en crêpe de soie suspendues à un rouleau comme les essuie mains de sacristie. Deux autres chapelles voisines servent à abriter, l’une la maîtresse grosse caisse du temple, dont on fait usage à défaut de cloche, et l’autre, les ex-voto des fidèles. Les bonzes qui desservent le