Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 14.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

faire, puisque les vêtements japonais, soit d’hommes, soit de femmes, s’attachent simplement avec des cordons de soie. Le don de quelques articles de parfumerie parisienne fut vivement apprécié, mais je tentai sans succès l’éloge de l’eau de Cologne, car le mouchoir de batiste est complètement inconnu aux dames japonaises. J’eus beau leur en montrer quelques spécimens très-joliment brodés par les habiles ouvrières de l’Appenzell ; on me fit comprendre que cela pouvait tout au plus être proposé aux élégantes de Yédo, à titre de manchettes pour leurs vastes robes de chambre, mais que la dernière fille du peuple ne consentirait jamais à tenir à la main ou remettre en poche une pièce d’étoffe dans laquelle elle se serait mouchée. Les petits carrés de papier végétal que l’on porte enroulés dans un pli de robe, sur la poitrine, ou dans une poche de manche d’habit, et que l’on jette à mesure que l’on en fait usage ne courent donc, pour le moment, aucune chance d’être supplantés par notre mode barbare ; quant à l’eau de Cologne, on en tirera bon parti, selon toute apparence, pour enlever le goût saumâtre de l’eau de puits que l’on boit à Benten.

Un autre point sur lequel la civilisation japonaise me parut conserver sur la nôtre une supériorité incontestable dans l’opinion de nos visiteuses, ce sont les procédés que nous employons pour écrire, et qui nous ont


[Image à insérer] Fac-simile d’un dessin japonais.


permis de créer l’aimable expression de gratte-papier. Le Japonais fait usage d’un pinceau, d’un bâton d’encre de Chine et d’un rouleau de papier de mûrier. Il transporte ces objets avec soi, au marché, à la promenade, en visite, ou en voyage : le rouleau de papier est serré sur sa poitrine ; le pinceau et l’encrier sont enfermés dans un étui qu’il suspend à la ceinture, à côté de sa pipe et de son petit sac à tabac.

Pour reprendre l’avantage, j’exhibai un coffret contenant un assortiment de fil à coudre, d’épingles et d’aiguilles, et j’invitai mesdames les yakounines à s’en servir. Elles furent unanimes à reconnaître l’imperfection des instruments de couture de leur pays, car aucun ne se fait à la mécanique. Aussi les travaux à l’aiguille sont-ils loin d’occuper dans la société indigène la place que nous leur donnons dans nos maisons bourgeoises. Jamais on ne les verra, par exemple, figurer dans les visites et les longues causeries des femmes japonaises : comme les hommes en Europe ont recours au cigare, elles n’ont d’autre ressource que la pipe pour assaisonner la conversation.

Je terminai en donnant aux enfants quelques estampes représentant des paysages et des costumes suisses, et en communiquant aux grandes personnes un album de photographies de famille, qu’elles examinèrent avec un intérêt, une émotion vraiment touchante. C’est dans le domaine des affections naturelles que l’unité, l’identité de la race humaine sous toutes les zones et chez tous les peuples, se fait le plus éloquemment sentir. Qu’importe la diversité des idiomes en présence de ce langage universel qui se traduit par l’expression du regard, par une larme suspendue aux paupières, par des intonations de voix, douces et pénétrantes comme les chants sans paroles que Mendelsohn a gravés dans toutes les mémoires ? Pour les peuples de civilisation primitive, le voyageur est un être digne de la plus profonde pitié, car il s’est séparé de tout ce qui fait le charme de la vie : la famille, le toit paternel, le pays des aïeux. Une religieuse admiration se mêlerait à la compassion qu’il inspire, s’il avait quitté sa patrie pour accomplir au loin quelque pieux pèlerinage ; mais traverser les mers pour le soin de terrestres intérêts, c’est ce que ne peut