Page:Le Tour du monde - 14.djvu/196

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secondaires, irrégulières dans leurs directions, mêlées les unes aux autres, si nombreuses et si embrouillées, surtout à l’extrémité occidentale, qu’on a peine à reconnaître d’où elles viennent et où elles vont, tout ce chaos a fait croire jusqu’à ce jour, mais à tort, que le Balti était traversé par une grande chaîne courant du sud au nord, coupant presque à angle droit l’Himalaya et portant le nom de Bolor-Dagh ou de Belour-Dagh.

Topographiquement, le Kouen-Loun ressemble beaucoup à l’Himalaya et au Karakoroum. Comme dans le Thibet, le sol s’y élève surtout par mouvements graduels à longue portée ; de larges vallées, à pentes exceptionnellement douces, y alternent avec des bassins de lacs plus ou moins salés et de hauts plateaux. Le plus élevé de ces plateaux, et en même temps le plus haut, sinon le plus vaste de la terre, est le plateau de Dapsang (17 500 pieds ou 5 300 mètres d’altitude). Viennent ensuite les plateaux de Boullou, d’Aksaë-Chin, dont l’élévation varie entre 5 200 et 4 950 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Point de neige en été sur ces hauts plateaux ; dans ces larges vallées, point de végétation non plus. Au loin, sur l’un ou l’autre versant, se dresse isolé quelque pic colossal avec ses neiges éternelles ; autrement le regard n’embrasse que rochers chauves et nus, vastes plaines stériles sillonnées de ravins, où bouillonnent des torrents qu’alimentent les inépuisables réservoirs de neiges et de glaces des géants de la montagne ; çà et là s’étendent des lacs, des bas-fonds recouverts d’une mince couche de sel, lits desséchés d’anciens lacs. De loin en loin jaillissent des sources chaudes, qu’on reconnaît déjà à de grandes distances à la colonne de vapeurs qui les cache et les signale à la fois. Si l’eau manquait à ces hautes régions, elles ne seraient qu’un immense désert inhabitable à l’homme et aux animaux. Même dans les jours les plus chauds de l’année, au fort de l’été, un vent de glace souffle sur ces plateaux, ces vallées, ces lacs aux eaux chargées de sel.


Cols et sommets.

Nous sommes encore loin de connaître tous les noms et toutes les altitudes des montagnes de la Haute-Asie, dont les plus puissantes sont recouvertes de milliers de pieds de neiges persistantes, mais on a au moins réussi à déterminer avec une très-grande certitude l’élévation des plus importantes d’entre elles. Nous sommes surtout redevables de ce résultat aux travaux de la « Great trigonometrial survey of India. » Quelques chiffres vaudront peut-être mieux qu’une description détaillée pour donner une idée de la hauteur et de l’étendue des chaînes de montagnes de la Haute-Asie.

Dans la seule chaîne de l’Himalaya, on a mesuré jusqu’à ce jour 216 sommets, parmi lesquels 17 dépassent l’altitude de 25 000 pieds ; 40 ont plus de 23 000 pieds, 120 plus de 20 000 pieds (6 100 mètres). On a, de plus, déterminé depuis la hauteur d’un nombre considérable de cimes tant du Karakoroum que du Kouen-Loun.

Le plus élevé des monts de la Haute-Asie, et jusqu’à présent de la terre entière, porte chez les Indous, le nom de Gaurisankar ; les Thibétains l’appellent Chingopamari ; les Anglais, ignorant d’abord son véritable nom, lui ont donné celui de Mont-Everest. Il s’élève dans l’Himalaya du Népaul par 27° 59, 3’ de latitude nord et 86° 54’, 7’’ de longitude est, à l’altitude énorme de 29 002 pieds (8 840 mètres), ce qui lui donne 1 620 mètres de plus qu’à l’Aconcagua, le sommet le plus fier des Andes et 4 030 mètres de plus qu’au Mont-Blanc.

Au Gaurisankar succèdent, par ordre de hauteur, le Dapsang (chaîne du Karakoroum, 8 625 mètres) ; le Kinchanjunga, qu’on tint longtemps pour la montagne la plus élevée du monde (8 592 mètres) ; le Sihsour (8 473 mètres), le Dhavalagiri (8 200 mètres) ; ces trois derniers sommets appartiennent à l’Himalaya. Dans le Karakoroum se trouvent encore le Diamar et le Masheribroum dépassant ou atteignant 8 000 mètres. Le Kouen-Loun n’a pas de pics d’une altitude aussi colossale ; jusqu’à présent, du moins, on n’y a vu aucun sommet dépassant 22 000 pieds (6 750 mètres).

On ne trouverait pas, dans la Haute-Asie, un seul homme qui cherchât à gravir par point d’honneur un grand pic, comme l’ont fait tant de gens dans nos Alpes d’Europe. C’est malgré lui, sous l’appât d’une grande récompense que le superstitieux Hindou se décide à accompagner le voyageur dans ces montagnes qu’il redoute moins pour les dangers inconnus de l’ascension que pour le sacrilége qu’il croit commettre en s’approchant du saint asile, du sanctuaire inviolable des dieux qu’il révère. Son trouble devient extrême quand il voit dans le pic à gravir, non la montagne à gravir, mais le dieu dont elle a pris le nom ; alors ce n’est que par le sacrifice et la prière qu’il pourra apaiser la divinité profondément offensée.

Au commencement, à la fin d’une ascension de pic ou de col, l’Hindou sacrifie, en observant strictement les prescriptions du cérémonial religieux, des animaux, généralement des moutons, et jette aux quatre coins du ciel des morceaux de la chair, des gouttes du sang des victimes. Ce n’est point le guide, c’est le voyageur qui doit marcher devant pour découvrir la vraie route. On se trouve, comme le dit si bien Humboldt, dans son récit de l’ascension du Chimborazo, on se trouve dans les situations les plus critiques, sans la moindre connaissance des lieux ; on est partout dans l’inconnu.

La mémorable tentative d’ascension du Chimborazo par Humboldt excita, par sa hardiesse, l’admiration générale ; sur les flancs de cette montagne de 21 422 pieds, le savant arriva à 19 286 pieds. C’était de beaucoup la plus grande hauteur que l’homme eût encore atteinte. L’élan que donna l’exemple de Humboldt, l’importance des résultats scientifiques qu’il avait retirés de son ascension firent naître, dans la Haute-Asie, des tentatives semblables. Les officiers, chargés de la triangulation de l’Inde, ont, en 1849 et en 1860, atteint deux fois 19 979 pieds, et une fois 19 958. Un signal trigonométrique a été installé à 21 400 pieds d’altitude sur un