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Parmi les oiseaux solitaires, il n’en est pas de plus pittoresque que le héron guettant patiemment sa proie, l’œil fixé sur l’onde limpide, le corps en équilibre sur une seule de ses jambes, tandis que l’autre est repliée sous son aile. L’éclatante blancheur de son plumage se détache sur un fond de roseaux et de hautes feuilles de nénufar. Quelquefois on le rencontre sous un dais de branches de pins ou de saules pleureurs ; toujours il semble avoir l’instinct des harmonies naturelles qui conviennent à sa mélancolique existence.

L’impression que produit la grue est très-saisissante. Lorsque ce bel oiseau apparaît seul au plus haut des airs et qu’il descend majestueusement sur la terre, on dirait un messager céleste ; aussi l’imagination populaire se plaît-elle à lui associer quelqu’un des saints ou des demi-dieux dont la mythologie Japonaise abonde, et à se figurer le divin personnage paisiblement accroupi sur le dos du « Tsouri ; » c’est le nom que les indigènes donnent à la grue, et ils y ajoutent volontiers l’épithète de « sama, » ni plus ni moins ne s’il s’agissait d’un kami, d’une divinité, d’un être surnaturel :

« Ô Tsourisama », (sa seigneurie le Tsouri !) La grue partage avec la tortue l’honneur d’être pour les Japonais le symbole de la longévité et du bonheur, et ils font résider le bonheur dans la paix de l’âme, la placidité de l’esprit.

La plupart des Japonais qui habitent sur les rives de la baie ont une existence en quelque sorte pareille à celle des oiseaux que je viens de décrire.

Oiseaux du Japon. — Dessin de Mesnel d’après des croquis japonais.

Tandis que les pêcheurs passent des journées entières loin de la côte, bercés dans leurs frêles embarcations comme les milliers de palmipèdes qui flottent autour d’eux au gré des ondulations de la mer, l’on voit tout un essaim de femmes et d’enfants accourir sur la plage aux heures de la marée descendante. Ils la suivent dans sa retraite, et empilent pêle-mêle dans des corbeilles d’osier l’abondante récolte qu’elle leur abandonne. Ce sont des herbes marines comestibles, des huîtres, des moules, des crustacés de tout genre. Les crabes font l’objet d’une poursuite d’autant plus animée, que ces êtres burlesques ont la faculté de se mouvoir en avant, en arrière, à droite, à gauche, dans toutes les directions, avec une étonnante vélocité. On les pourchasse dans leurs derniers retranchements en se munissant d’un bambou garni d’un bec ou crochet de fer pour retourner les pierres sous lesquelles ils vont chercher un refuge. Leur humeur voyageuse les pousse à gravir même les marches de notre terrasse et jusqu’à l’escalier de la vérandah. Un soir j’en découvris un de fort belle taille qui se promenait sous le lavabo de ma chambre à coucher, et ce ne fut pas une petite affaire que de le ramener sur le chemin de ses pénates, c’est-à-dire dans une rigole du jardin qui aboutit à la mer.

Toutes les bonnes gens qui composent la population de la plage m’accostent avec des paroles amicales ; les enfants m’apportent des coquillages nacrés ; les femmes m’expliquent de leur mieux les propriétés culinaires des affreux petits monstres marins qu’elles entassent dans leurs paniers. Ce fond de bonhomie et de cordialité est un trait de caractère commun à toutes les classes inférieures de la société japonaise. Plus d’une fois, en parcourant à pied les environs de Nagasaki ou de Yokohama, j’ai été invité par des gens de la campagne à entrer dans l’enclos de leur demeure. Là ils me faisaient admirer les fleurs de leur jardin et en coupaient quelques-unes des plus belles pour en composer un bouquet qu’ils mettaient à ma disposition. C’était en vain que j’essayais de leur faire accepter en échange une pièce de monnaie, et ils ne me laissaient partir qu’après m’avoir offert dans leur chambre de ménage une collation de thé et de gâteaux de riz.

Le printemps est la saison qui présente le plus d’attrait au promeneur sur les rives de la baie de Yédo. Lorsque l’on s’élève sur quelqu’une des sommités qui la bordent, l’intérieur des terres se développant au pied du Fousi-yama, offre une succession non interrompue de collines boisées et de vallées cultivées, entrecoupées de rivières ou de golfes qui ressemblent de loin à des lacs. On distingue sur leurs bords des villages à demi cachés sous les arbres, et sur divers points de la campagne des fermes entourées de jardins, vers lesquelles des sentiers ombragés vous invitent à descendre.

La précocité de la végétation dans les rizières et sur