Page:Le Tour du monde - 14.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et nous en fûmes réduits au misérable expédient de fumer simplement de l’écorce de saule.


Nous commençons à nous couper une route dans la forêt vierge. — Désastres. — Nourriture quotidienne. — Le mont Cheadle. — Fruits sauvages. — M. O’B. franchit une rivière d’une façon triomphante. — Nouvelles déceptions. — Plus de provisions. — L’Indien sans tête. — Le Petit-Noir est condamné et tué. — Toujours la forêt. — Les Grands Rapides. — C’est un vrai cachot. — La Porte d’Enfer. — Une trace. — Nous sortons de la forêt !

Le 31 juillet, nous quittions le camp de la Tuerie au milieu d’une pluie torrentielle, et nous nous plongions dans la forêt sans route.

Immédiatement nous rencontrâmes le pied d’un escarpement qui ne s’arrêtait qu’au bord de l’eau. Mais la roideur ne faisait pas la difficulté principale de ce chemin.

Il faut avoir vu une forêt vierge, où des arbres gigantesques ont grandi et sont tombés sans avoir été frappés de la hache durant des siècles, pour se faire une idée de ces amas de futaies impénétrables. Les sapins et les thuyas atteignent toutes les dimensions : les patriarches de trois cents pieds de haut élèvent leurs cimes dans une solitude aérienne majestueuse ; les jeunes se réunissent à leurs pieds en groupes épais, luttant pour prendre la place de quelque géant abattu. Les arbres morts gisent empilés çà et là, formant des barrières qui souvent sont hautes de six à huit pieds en tous les sens. Des troncs de cèdres énormes, tombant en pourriture, et changés en tas de mousse, sont à demi enterrés dans le sol, sur lequel d’autres arbres aussi puissants se sont récemment couchés ; des arbres encore verts et vivants, qu’ont renversés de récents ouragans, bloquent la vue par la muraille de terre que retiennent leurs racines entrelacées ; troncs vivants, troncs morts, troncs pourris, troncs desséchés et sans écorce, troncs humides et verts de mousse, troncs ébranchés et troncs branchus ; renversés, couchés, horizontaux, penchés dans tous les angles ; futaie de toute croissance, dans tous les âges de la vie et de la décomposition, dans toutes les situations possibles, emmêlés suivant toutes les combinaisons imaginables. Si le terrain est marécageux, il est plein de cornouillers. Ailleurs ce sont des fourrés d’aralies, des lianes traçantes et grimpantes, entortillées, aux feuilles larges comme celles de la rhubarbe, montant trop souvent aussi haut que les épaules. La tige et les feuilles en sont couvertes de fortes épines qui percent les vêtements quand on essaye de se frayer un chemin à travers leurs masses entremêlées, et rendent écarlates les jambes et les mains des pionniers par l’inflammation que produisent les myriades de leurs piqûres.

La fin du chemin. — D’après MM. Milton et Cheadle.

L’Assiniboine marchait en tête la hache à la main ; sa femme le suivait, conduisant un cheval ; puis venait le reste de la bande, à la file, chacun menant deux ou trois chevaux. Quelquefois ces animaux, irrités par les obstacles, se jetaient à travers les arbres dans toutes les directions. Il les fallait rattraper, puis retrouver péniblement la trace presque effacée qu’avaient laissée ceux qui avaient continué de marcher.

Notre nourriture ne consistait plus qu’en ce que les métis appellent roubébou. Nous la préparions en faisant bouillir, dans une large quantité d’eau épaissie d’une