Page:Le Tour du monde - 14.djvu/285

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Le lendemain, le soleil se levait splendide, et presque en même temps, le capitaine A*** frappait à ma porte, pour m’avertir qu’il mettait son cheval à la disposition de mon fils, qui pourrait ainsi accompagner le lieutenant X*** dans une excursion que celui-ci voulait faire sur la route de Bordeaux, au delà de la Bourboule et de Saint-Sauves, pour comparer cette entrée de la vallée du Mont-Dore à celle que nous avions suivie la veille. L’excellent capitaine, cherchant à atténuer tout ce que son offre avait d’obligeant, prétextait le besoin qu’il éprouvait de marcher, et demandait à me suivre dans ma promenade du matin. Un quart d’heure après, Henri, monté comme il ne l’avait jamais été, filait avec le lieutenant du côté de Murat-le-Quaire ; tandis que le capitaine cherchait avec moi, entre le village des bains et le hameau de Queureilh, le point exact d’où le rayon visuel prolongé vers le sommet du Capucin, se heurte aux contours illusoires d’un obélisque détaché d’une paroi de ce rocher et revêtant en apparence le froc, le capuchon, le galbe d’un moine agenouillé, les bras croisés sur sa poitrine et les mains dans ses manches. Ce point précis, nous nous en assurâmes, est situé à quelques centaines de mètres en aval du village des Bains, à la bifurcation de la route et d’un chemin qui s’élève derrière Queureilh ; partout ailleurs, la perspective fantastique s’atténue et disparaît.

La région des lacs au sud du Mont-Dore. — Dessin de Jules Laurens d’après nature.

La cascade de Queureilh, que nous ne tardons pas à atteindre en doublant la pente du plateau de l’Angle, devant le débouché du ruisseau qui vient du lac de Guéry, a un caractère à part parmi toutes celles du Mont-Dore. Elle ne présente aux yeux, ni la masse d’eau, ni le précipice, ni le chaos de rochers de la Grande-Cascade, qu’on voit de la vallée ; elle n’a pas le cadre de montagnes boisées et de forêts éternelles qui resserre étroitement les chutes du Plat-à-Barbe et de la Vernière ; mais le contraste de son écume blanche lavant les prismes noirs d’une couche de basalte de plus de vingt mètres d’épaisseur ; mais la corniche de cette muraille sombre, frangée de mousse, couronnée de l’or des genêts et du tronc blanc des hêtres, tandis que sa base baigne dans l’eau pure d’un clair bassin ; mais la pelouse, d’un vert tendre, et le bois de vieux sapins qui s’arrondissent autour de celui-ci, comme pour en protéger les abords ; tous ces détails accentués, mais d’une harmonie parfaite dans leur ensemble, me font préférer cette cascade à beaucoup d’autres plus renommées.

Tandis que, mécontent de n’en avoir trouvé nulle part de représentation fidèle, je m’efforçais d’en arrêter sur mon carnet les principaux traits, un geste muet, mais expressif du capitaine A*** fixa toute mon attention sur la nappe d’eau, étalée, calme et bleue au bas de la chute. Là, sur un fond de sable, à un ou deux pieds de