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ges manches, qui ne descend que jusqu’aux hanches, et dont la coupe ne manque pas d’élégance.

Tout le monde a la même chaussure : des chaussettes en toile, et des sandales en paille tressée ou des socques en bois, retenus par un cordon dans lequel on engage l’orteil. Quand les chemins sont boueux, l’on chausse une simple semelle de bois exhaussée sur deux planchettes posées de champ. La plus grande partie de l’année, les gens du peuple ne font usage que des sandales de paille.

Chacun, en rentrant chez soi ou en se présentant dans une maison étrangère, ôte ses socques ou ses sandales et les laisse sur le seuil.

Les planchers des habitations japonaises sont constamment recouverts de nattes. Comme elles sont toutes de la même grandeur, à ce point que l’on a fait de la natte une mesure courante, on n’a jamais de difficulté à les placer dans un appartement ; elles ont uniformément six pieds trois pouces de long, trois pieds deux pouces de large, et une épaisseur de quatre pouces. Elles sont faites de paille de riz fort soigneusement tressée. En les combinant avec les rainures pratiquées dans le plancher, et les châssis à coulisses qui doivent former les cloisons des chambres, le Japonais subdivise son habitation en pièces plus ou moins grandes et de dimensions toujours régulières, et modifie, quand il lui plaît, cette distribution sans qu’il lui en coûte beaucoup de peine, et sans jamais s’écarter des lois de la symétrie.

Jeux d’enfants. — Dessin de Émile Bayard d’après une peinture japonaise.

La natte dispense de tout autre mobilier. C’est le matelas sur lequel le Japonais passe la nuit, enveloppé d’une ample robe de chambre et d’une grande couverture ouatée, et la tête reposant sur un petit socle de bois rembourré ; c’est la nappe où il étale les ustensiles de laque et de porcelaine dont il fait usage dans ses repas ; c’est le tapis que foulent les pieds nus de ses enfants ; c’est le divan où, accroupi sur ses talons, il invite ses amis et ses hôtes à s’asseoir de la même manière pour se livrer avec lui à des causeries interminables, en savourant une décoction de thé sans mélange d’autres ingrédients, et des bouffées de tabac consumé dans des pipes microscopiques.

Un retrouve dans les auberges du Japon ce que l’on appelle à Java le « bali-bali : » c’est comme un plancher mobile, comme une grande table recouverte de nattes et exhaussée seulement d’un pied, plus ou moins, au-dessus du sol. Là le voyageur s’assied ou s’accroupit, mange, boit, fait sa sieste, cause avec ses voisins. La maison du Japonais n’est pas autre chose qu’un bali-bali perfectionné, un reposoir, un abri temporaire, où l’on se réfugie quand les travaux de la rue et de la campagne sont terminés ; mais ce n’est pas là qu’est pour lui le centre de l’existence, si toutefois l’on peut se permettre cette expression en parlant d’un peuple qui vit au jour le jour, oublieux de la veille, sans souci du lendemain.

Jeux d’enfants. — Dessin de Émile Bayard d’après une peinture japonaise.

Un jour que j’avais assisté à des exercices de récitation d’une demi-douzaine de jeunes garçons de notre voisinage, accroupis autour de leur instituteur, je m’informai de la signification des mots qu’ils répétaient en chœur. L’on m’apprit qu’ils s’exerçaient à réciter « l’irova, » sorte d’alphabet dans lequel on a réuni et groupé en quatre lignes, non pas les voyelles et les consonnes, mais les sons fondamentaux de la langue japonaise. Le nombre en est fixé à quarante-huit, et au lieu de les classer en éléments grammaticaux d’après les organes de la parole, on en a fait une petite pièce de poésie, dont le premier mot, qui est celui d’irova, donne son nom à l’alphabet. Je la cite textuellement en faisant observer préalablement que la consonne v se prononce dans certains dialectes japonais soit comme f, soit comme h aspiré ; que la double consonne w a toujours le son du w anglais, et enfin que l’on confond fréquemment les sons de d et de t, de la consonne gutturale g et de k, ainsi que de s ou ds et de z et ts. En général, je ne serais pas surpris d’apprendre que l’alphabet japonais est encore à faire pour les Européens.