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d’années, et devinrent, à leur tour, des esprits bienheureux, des Kamis immortels, dignes des honneurs divins.

Collier de magatamas (pierreries).

La science, confirmant les données de la tradition, constate qu’à l’époque où s’ouvre l’ère historique du Japon, six siècles environ avant Jésus-Christ, il existait déjà dans ce pays une religion qui lui était propre, qui n’a jamais été introduite ni pratiquée ailleurs, comme le fait observer Kæmpfer, et qui s’est conservée jusqu’à nos jours, quoique sous une forme altérée et dans un état d’infériorité à l’égard d’autres sectes d’une origine postérieure. C’est le culte des Kamis, lequel a reçu plus tard divers noms empruntés à la langue chinoise et que, pour cette raison, je passe sous silence. On ne doit point l’envisager comme le culte des esprits des ancêtres en général, ni des ancêtres de telle ou telle famille en particulier. Les esprits vénérés sous le titre de Kamis appartiennent, il est vrai, à la légende mythologique ou héroïque, dont la gloire rejaillit sur certaines familles encore existantes ; mais ils sont, avant tout, des génies nationaux, protecteurs du Japon et du peuple qui l’habite.

Dessins japonais. — Ancien guerrier avec le collier de magatamas.

Au surplus, quels pouvaient être les Kamis primitifs, sinon ces personnages fabuleux de la cosmogonie nationale, ces génies ou héros mythologiques, et quelques autres d’un rang secondaire, qui, quoique issus de la même souche, ont reçu et reçoivent encore des hommages divins sur plusieurs points du Japon où, dans l’antiquité la plus reculée, on avait élevé des chapelles en leur honneur ? Ces rustiques bâtiments portent le nom de mias. Les plus célèbres sont situés dans la partie sud-ouest de l’archipel, qui semble avoir été le berceau de la civilisation primitive du peuple japonais. De nos jours encore, et surtout au printemps, des milliers de pèlerins y affluent de presque toutes les provinces de l’empire.

La chapelle dédiée à Ten-sjoo-daï-zin, dans la contrée d’Isyé, passe pour être le monument le plus authentique de la religion primitive des Japonais. Kæmpfer assure que les sintoïstes (c’est le nom chinois sous lequel on désigne les adhérents du culte kami) vont en pèlerinage à Isyé une fois l’an, ou tout au moins une fois en leur vie : « Le temple d’Isyé, » ajoute-t-il, « est situé dans une grande plaine. C’est un chétif bâtiment de bois, bas, et couvert d’un toit de chaume surbaissé et assez plat. On prend un soin particulier de l’entretien de ce bâtiment, que l’on conserve dans le même état où il a été construit originairement ; et cela afin qu’il serve de monument de l’extrême pauvreté de leurs ancêtres, fondateurs de ce temple, ou des premiers hommes, comme ils les appellent. Au milieu de ce temple, on ne voit autre chose qu’un miroir de métal jeté en fonte, poli à la manière du pays, et du papier découpé autour des murailles. Le miroir y est mis comme un emblème de l’œil clairvoyant du grand dieu qu’on y adore, et de la parfaite connaissance qu’il a de ce qui se passe dans l’intérieur le plus profond de ses adorateurs. Le papier blanc découpé représente la pureté du lieu, et fait souvenir les adorateurs qu’ils ne doivent s’y présenter qu’avec un cœur pur et un corps nettoyé de toute souillure. »

Quelque remarquable que soit cette citation, elle ne nous donne pourtant pas l’idée complète du type architectural qu’a définitivement revêtu le temple kami. La période à laquelle appartient la cha-