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ceux que nous prenions pour des évêques étaient simplement des chanoines du chapitre qui ont, à ce qu’il paraît, le privilége de porter la chape et la mitre.

C’est aussi le jeudi saint qu’on porte processionnellement, jusqu’au fameux monumento, le saint sacrement, ou le Santisimo, comme disent les Espagnols. Le monumento, exécuté vers le milieu du seizième siècle par un artiste italien connu en Espagne sous le nom d’Antonio Florentin, est une espèce de temple de dimensions colossales, entièrement construit en bois et qui se démonte pièce par pièce ; cette opération exige beaucoup de temps et un grand nombre de bras : on nous a assuré qu’il ne fallait pas moins de trois semaines pour monter le monumento. Ce temple, qui a la forme d’une croix grecque, se compose de quatre étages soutenus par des colonnes d’ordre dorique, ionique, corinthien et composite ; il est orné de statues colossales représentant Abraham, Melchisédech, Aaron, Moïse, plusieurs saints et différents sujets de l’Ancien et du Nouveau Testament.

C’est dans le trascoro, c’est-à-dire derrière le chœur, sur l’emplacement même occupé par le tombeau du fils de Christophe Colomb, qu’on élève le monumento : quand il est éclairé, l’effet est vraiment magique ; les cierges, au nombre de près de huit cents, représentent, assure-t-on, {corr|envirou|environ}} trois mille trois cents livres de cire.

Le jour solennel du vendredi saint, les Pasos sont plus nombreux que les jours précédents : le plus curieux de tous est celui qu’on appelle le Santo Entierro : les personnages qui le composent ne sont pas en bois, comme ceux des autres Pasos, mais bien en chair et en os.

Nous vîmes d’abord un personnage figurant la Mort, une faux à la main, assise sur le Monde, au-dessus duquel s’élevait la Croix ; à la suite venaient quelques enfants habillés en anges : l’un représentait saint Michel en costume de guerrier, l’épée à la main, un autre figurait l’Ange gardien, el Santo Angel de la Guarda, conduisant l’homme par la main : l’homme était un bambin de trois ou quatre ans, qui grelottait dans son maillot, et qui paraissait fort décontenancé au milieu de tous les personnages allégoriques. Deux autres enfants représentaient saint Gabriel, une branche de lis à la main, et saint Raphaël en costume de pèlerin, portant d’une main un bourdon, et de l’autre un poisson. Le Christ, enfermé dans un tombeau de verre, et entouré des soldats traditionnels vêtus à la romaine, était suivi de la Sainte Vierge, de saint Jean, de Joseph d’Arimathie, de Nicodème et de quelques autres personnages. Cette étrange procession, entièrement composée de personnages vivants, nous rappela à la fois les tableaux vivants et les naïfs mystères du moyen âge.

Le lendemain, jour du samedi saint, nous vîmes encore une procession allégorique représentant l’Établissement de l’Église : sur un trône de nuages se tenait Dieu le Père, ayant à ses côtés Dieu le Fils et le Saint-Esprit ; des cinq plaies du Fils coulaient autant de filets de sang qui tombaient sur l’Église, et lui donnaient la vie ; l’Église était représentée par une jeune fille habillée en prêtre, ce qui produisait l’effet le plus singulier. C’était également une jeune fille, les yeux bandés, agenouillée aux pieds de Dieu le Père, qui figurait la Foi.

Les processions de Séville, avec leurs nombreux pénitents masqués et couverts de cagoules, ont un aspect étrange et presque lugubre ; c’est comme un souvenir des auto-da-fé de l’inquisition : ceci nous remet en mémoire un spectacle vraiment lugubre, dont nous fûmes plus d’une fois témoins : un misérable cercueil, traîné par un cheval lancé au trot était précédé de quelques indigents portant des croix et des lanternes, et courant à toutes jambes, comme des gens qui ont hâte de se débarrasser d’une tâche importune : c’était un convoi de pauvre : un entierro de limosna.

Dans l’après-midi du samedi saint, nous nous rendîmes à la Puerta de Carmona pour voir le marché aux agneaux ; il s’en consomme, à l’époque des fêtes de Pâques, une quantité prodigieuse : plusieurs milliers de ces pauvres petits animaux étaient parqués en dehors de la ville, et maintenus par ces barrières en filets de cordes dont nous avons déjà parlé à l’occasion de la foire de Séville.

Le dimanche de Pâques, il y eut toutes sortes de spectacles, y compris, bien entendu, des combats de taureaux. On donna ce jour-là des courses portugaises qui, pour être moins sanglantes que les corridas ordinaires, n’en étaient pas moins curieuses. Nous vîmes également une jeune Espada tuer deux taureaux de sa jolie main ; ensuite vinrent des courses à la Portugaise, moins sanglantes, mais tout aussi intéressantes que les corridas ordinaires ; enfin un torero, monté sur de hautes échasses, tua plusieurs taureaux aux applaudissements de la foule, car pour le public espagnol une fête de taureaux n’est pas complète si le sang n’y coule pas. Ainsi se termina cette curieuse corrida, sur laquelle nous reviendrons avec plus de détails.


Les anciennes danses gaditanes. — Martial et les danseuses de Cadiz. — Telethusah. — La Puella gaditana. — Pline le Jeune et Pétrone. — Les crotales antiques et les castagnettes. — De l’antiquité des castagnettes. — La bibliographie de cet instrument. — La crotalogia. — La pandereta.

On peut dire que l’histoire de la danse, en Espagne, remonte presque aussi haut que celle de la nation elle-même : les danseuses gaditanes, si connues dans l’antiquité que souvent on les appelait simplement Gaditanes, — Gaditanas, étaient renommées à Rome entre toutes, comme les plus habiles et les plus séduisantes, de même que les musiciens de Cordoue, l’antique Corduba, étaient fameux dans le monde romain.

Les Basques, qui passent généralement pour les plus anciens habitants de la Péninsule et dont les origines échappent à toutes les recherches, ont été de tout temps aussi passionnés pour la danse que les peuples de la Bétique ; et aujourd’hui encore il est peu de provinces de l’Espagne, où ce divertissement soit aussi en faveur parmi le peuple que dans les provinces basques et l’Andalousie.