Page:Le Tour du monde - 14.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus tard, sans autre démonstration militaire que l’appareil de sa propre armée, pour la raison que le mikado n’a ni troupes ni canons à sa disposition, mais simplement une garde d’archers de parade, recrutés parmi les familles de sa parenté ou de la noblesse féodale. Même dans ces modestes conditions, il subvient avec peine à l’entretien de sa cour : les contributions de la résidence n’y suffisant pas, il doit accepter, d’une main, le montant d’une rente que le taïkoun veut bien lui payer sur sa cassette, et, de l’autre, le produit d’une collecte que les frères quêteurs de certains ordres monastiques vont faire annuellement pour lui, de village en village, jusque dans les provinces les plus reculées de l’empire. Si quelque chose lui permet encore de soutenir son rang, c’est l’héroïque désintéressement d’un grand nombre de ses hauts dignitaires. Il en est qui le servent sans autre rémunération que la puissance gratuite des riches costumes réglementaires de la vieille garde-robe impériale. Quand ils rentrent au logis après avoir déposé leur livrée de cour, ces fiers gentilshommes ne dédaignent pas de s’asseoir à un métier de tisserand, ou devant un tambour de brodeuse. Plus d’une pièce de ces riches soieries de Kioto, dont on admire la main-d’œuvre, sort de maisons princières qui ont leurs noms inscrits au calendrier des Kamis.

Distribution d’argent au peuple par ordre du taïkoun. — Dessin de Émile Bayard d’après un croquis japonais.

Ces circonstances n’empêchèrent pas le mikado d’inaugurer la journée de l’entrevue en étalant, aux regards de son royal visiteur, le spectacle de la grande procession du daïri. Accompagné de ses archers, de sa maison, de sa cour et de toute sa suite pontificale, il sortit du palais par le portique du sud, qui, vers la fin du neuvième siècle, fut décoré des compositions historiques du célèbre peintre et poëte, Kosé Kanaoka. Il descendit, le long des boulevards, jusqu’aux faubourgs que baigne l’Idogawa, et remonta vers le castel en parcourant toutes les rues principales de la cité.

Il faisait porter avec pompe, en tête du cortége, les antiques insignes de son pouvoir suprême : le miroir d’Izanami, son aïeule, la charmante déesse qui donna le jour au soleil dans l’île d’Awadsi ; les glorieuses enseignes dont les longues banderoles de papier avaient flotté sur les troupes du conquérant Zinmou ; le glaive flamboyant du héros de Yamato, qui dompta l’hydre à huit têtes à laquelle on sacrifiait des vierges de sang princier ; le sceau qui fut apposé aux lois primitives de l’empire ; l’éventail en bois de cèdre, ayant la forme d’une latte et remplissant l’usage d’un sceptre qui, depuis plus de deux mille ans, passe des mains du mikado défunt à celles de son successeur.

Je ne m’arrêterai pas à une autre exhibition, destinée sans doute à compléter et à rehausser l’effet de la première, savoir celle des bannières armoriées de toutes