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fluent avec le Huallaga ; d’autres la rivière Napo jusqu’à Santa-Rosa.

De pareils actes, qu’on pourrait attribuer au naturel farouche et insoumis de ces soldats, Indiens Tapuyas, pris dans les villages de l’Amazone et, de par l’État, enrôlés de force, de pareils actes, disons-le par égard pour la vérité, ne sont que les conséquences du traitement dont ces malheureux sont l’objet de la part des commandants des postes frontières. Considérés par ceux-ci comme des serfs taillables et corvéables, ils sont exploités féodalement. Les uns chassent et pêchent pour approvisionner la table du maître. D’autres battent les bois en quête de salsepareille, recueillent sur les plages des tortues et leurs œufs, ou vont au bord des lacs préparer des salaisons de lamantin et de pira-rocou, que le chef du poste expédie aux villes voisines dans quelque égaritea à lui appartenant[1]. Inutile de dire que ce dernier profite seul des bénéfices du chargement, œuvre collective de ses subordonnés.

Rebutés de la vie qu’ils mènent et du rude labeur auquel on les soumet, ces soldats-esclaves finissent par se révolter. Il suffit d’une punition corporelle, ajoutée au poids de leur tâche, pour faire déborder la coupe déjà pleine. Les plus timides se contentent de déserter ; les plus exaspérés se vengent.

L’empereur Pedro II, nous ne l’ignorons pas, a interdit ce honteux trafic des postes-frontières ; mais malgré cette interdiction, le commerce illicite n’en a pas moins continué ses transactions. Le Brésil est si vaste et tant de lieues séparent Rio de Janeiro, siége de l’empire, des postes fortifiés qui s’étendent de Tabatinga à l’Oyapock, qu’il semble à leurs commandants que l’œil du maître et ses décrets ne peuvent les atteindre.

Deux heures de voyage nous conduisirent devant l’embouchure de la rivière Javari, affluent de droite de l’Amazone. Ce nom de Javari, qu’au dix-septième siècle on écrivait et on prononçait Yahuari, lui vient de la quantité de palmiers Yahuaris (metroxylon) qui à cette époque ombrageaient ses rives. Aujourd’hui ces palmiers n’existent plus ou sont devenus rares.


Vue du hameau de Jurupari-Tapera.

La largeur de cette rivière, que nous mesurâmes par une crue formidable qui avait recouvert ses plages, était de mille quatre-vingt-dix-huit pieds, au lieu de douze cents que lui donne La Condamine. Mais nous l’avons dit quelque part et nous le répétons ici, on ne saurait se montrer rigoureux en fait de limites, lorsqu’il s’agit des affluents de l’Amazone et du fleuve lui-même. Il suffit d’une crue anormale pour bouleverser leurs rivages et faire varier leur cours.

Les rives du Javari sont basses et sinueuses. Son courant est peu rapide et ses eaux ont la teinte opaline de celles du Napo. À cinquante lieues dans l’intérieur, il se divise en deux bras inégaux. Le plus large est appelé Jawari huasu ou grand Javari ; le plus étroit, Javari miri ou petit Javari. Pour le trace chorographique de ces deux bras, le lecteur peut se reporter à nos cartes.

Le Javari huasu ou grand Javari, dont la direction ouest-sud-ouest est indiquée dès son embouchure, ne compte pas une seule île sur toute l’étendue de son cours. Sa rive gauche est habitée par les Indiens Mayorunas et Marahuas ; sa rive droite par les Huaraycus et les Culinos[2]. Ces deux nations vivent retranchées dans l’intérieur des forêts et ne se montrent jamais sur les rives de l’Amazone.

On chercherait en vain sur la rive droite du Javari, l’emplacement du village de São José, fondé autrefois par les Carmes portugais à l’intention des Indiens Ticunas et dont le vingt et unième gouverneur général du Para, Fernando da Costa de Ataide Teive, fit plus tard

  1. En général, tous les commandants des postes-frontières, les colonels, majors et capitãos en activité de service, les juges de paix, de droit, de lettres et autres justiciers établis dans les villes et villages de l’Amazone, font par nécessité, par désœuvrement ou par goût de la chose, nous ne savons au juste, un commerce d’exportation plus ou moins étendu.
  2. Par corruption Colinos. Petite tribu divisée en familles éparses. Les riverains qui ne les voient jamais, les ont presque oubliées et n’en font mention que pour mémoire. Au temps de la conquête portugaise, les Culinos habitaient les deux rives de l’Igarapé Comatia dans le voisinage de São Pablo de Olivença. Renommés pour leur légèreté à la course, ces indigènes pourchassaient comme des limiers et prenaient vivants, dit-on, les pacas, les agutis et autres grands rongeurs.