Page:Le Tour du monde - 15.djvu/124

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effarouchés par notre approche, s’allaient blottir dans l’épaisseur des massifs ; des hérons gris et blancs, des ibis et des savacus fuyaient devant nos barques ; les singes glapissaient en chœur, les psyttacules croassaient en battant des ailes, et d’énormes chauves-souris, décrivant au-dessus de nos têtes des angles brisés, poussaient la familiarité jusqu’à nous frôler le visage.

Après dix minutes de cette navigation dans les ténèbres, nous abordâmes au pied d’un monticule entouré d’un ruisseau d’eau noire. Une maisonnette avec auvent, communs et jardinet, couronnait son sommet. Trois déserteurs brésiliens s’étaient réfugiés en ce lieu, avaient bâti cette demeure et y vivaient heureux en compagnie de femmes brunes et camardes. Quel conseil de guerre se fût avisé de les aller chercher au milieu de cette forêt vierge et noyée ! Nous partageâmes leur souper et dormîmes un peu pêle-mêle avec eux.

Le lendemain, au moment du départ, nos hôtes ayant appris par mes rameurs que je devais toucher barres à Ega, me prièrent de ne pas découvrir au commandant de cette ville le lieu de leur retraite ; à cette prière, ils joignirent le don de quelques ananas cueillis dans leur jardin. Je promis à ces braves gens d’être muet comme un sépulcre, et pendant quelques années je tins ma promesse ; aujourd’hui que leur délit est oublié ou qu’il échappe aux lois par la prescription, je puis sans danger pour mes anciens hôtes, apprendre au public qu’ils se nommaient João Vieira, Francisco Pires et Antonio Freire, et que le site dont ils avaient fait choix et que ma carte du fleuve est seule à reproduire, avait nom igarapé Jatahua.


Chasse d’une pirogue dans le Gapo.

À trois lieues de cet igarapé, nous relevâmes Paruari-Tapera, une mission d’Indiens Umaüas fondée au dix-septième siècle par les carmes du Brésil. En 1709, un parti de jésuites espagnols qui racolaient des indigènes le long du fleuve pour leurs établissements du Pérou, s’abattirent sur Paruari, firent prisonniers tous ses néophytes et changèrent plus tard leur nom d’Umaüas en celui d’Omaguas.

Pour repeupler leur mission déserte, les carmes recoururent à des castes voisines. Paruari eut des Indiens Yuris de la rivière Iça, des Catahuichis du Jurua, des Marahuas du Jutahy, des Uayupès de la rivière Teffé et quelques autres dont le nom nous échappe.

Une petite vérole des plus malignes s’étant abattue sur la nouvelle mission, le site qu’elle occupait fut abandonné par les missionnaires, qui remontèrent le lac-rivière Uraüa, prirent à travers bois et s’introduisant dans le lac d’Ega, fondèrent sur sa rive ouest le village de Nogueira qu’on y voit encore.

Rien aujourd’hui ne rappelle à Paruari-Tapera le