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femmes, les trieuses, qui nettoient et classent la houille. Aux hommes incombent les travaux les plus rudes ; ils reçoivent le charbon à la bouche du puits, le transportent et vident les wagons sur les estacades.

Chacun est à la besogne ; la scène est des plus animées. La cheminée élevée des chaudières, en briques rouges, le gigantesque chevalet en bois qui porte les roues sur lesquelles glissent les câbles, tout concourt à donner au tableau un aspect étrange et saisissant. Autour du puits, dans une corbeille aux barreaux de fer, brûle la houille, sans cesse allumée. C’est comme le feu des Vestales, qui jamais ne devait s’éteindre. On sèche à cette flamme ses habits mouillés en sortant de la mine, et le fumeur y allume sa pipe : c’est là qu’on change les postes ; c’est là que devisent les ouvriers par les froides journées d’hiver, et quand les surveillants sont loin.


Mineur remontant par le puits sur la tonne. — Dessin de A. de Neuville d’après F. Bonhommé.

Pendant que les travaux de la surface offrent cet aspect particulier, à l’intérieur, dans la ville noire des mineurs, tout est bruit et mouvement. On travaille sans relâche, ne se reposant qu’à l’heure du repas, et le déjeuner, dans la mine, à la clarté d’une lumière fumeuse, n’est pas de longue durée.

Quittons la longue galerie longitudinale où nous étions entrés tout à l’heure. Prenons les voies latérales, montons le long des galeries ascendantes. Nous arrivons dans les tailles ou l’on abat le charbon. Là, travaille le mineur, armé du pic, et quelquefois de la barre à mine ou fleuret, pour attaquer la houille avec la poudre. Le charbon abattu, vient le rouleur ou traîneur, qui le porte au sommet des galeries ascendantes. De celles-ci, le charbon descend dans les galeries de roulage. La descente s’opère par la seule force de la gravité, comme sur une montagne russe. Un câble passe sur une énorme poulie, serrée par un frein pour modérer la vitesse, et les wagons descendants font remonter les wagons vides.

La couche de houille exploitée à Épinac est très-épaisse, puissante, comme disent les mineurs. Elle atteint, en certains points, jusqu’à dix mètres. Naguère, on exploitait cette masse par éboulement. Les mineurs armes de pics emmanchés à de longues perches, provoquaient la chute du charbon au-dessus de leur tête, au risque d’être écrasés. Il fallait fuir devant l’éboulement qui, souvent s’annonçait formidable. Une partie des charbons restait dans la mine comme remblai, pour combler le vide énorme qui s’était produit. Ces charbons menus, sulfureux, fermentaient, dégageaient une grande chaleur ; parfois, ils s’allumaient spontanément, et propageaient l’incendie dans la mine. À tous ces inconvénients, venaient s’en joindre d’autres. Le tassement du terrain qui suivait l’éboulement de la houille, se propageait jusqu’à la surface ; d’énormes fissures s’ouvraient dans le sol par où les eaux entraient dans l’intérieur ; la mine était inondée, après avoir été incendiée.

La méthode d’abattage dont il vient d’être question, n’était pas spéciale à la mine d’Épinac. Dans toutes les couches de houille puissantes des bassins français, surtout dans celui dont nous avons à nous occuper, le bassin du Centre ou de Saône-et-Loire, cette méthode était exclusivement employée, il n’y a pas encore longtemps : on lui avait donné le nom expressif de foudroyage. Enfin, on retrouve aussi cette méthode usitée en Angleterre et dans les houillères allemandes.

Avec les remarquables progrès qu’ont faits à notre époque les arts techniques, un système d’exploitation aussi barbare et primitif ne pouvait durer longtemps. Depuis quelques années, les ingénieurs, réfléchissant que les forêts souterraines s’épuisent et ne se reproduisent pas comme celles de la surface, que le charbon est matière de prix qu’il ne faut point gaspiller, ont partout renoncé à la méthode d’exploitation par éboulement. La méthode par remblais est maintenant partout employée. Avec ce nouveau système, tout le charbon est extrait de la mine. La couche, au moyen de galeries qui se rencontrent à angles droits, est découpée en massifs qu’on abat successivement, comme les taillis dans un bois. On remplace par de la pierre, tirée de la roche stérile au milieu de laquelle gît le charbon, ou amenée du dehors, l’utile et précieux minéral, dont pas un atome n’est perdu. C’est à M. Blanchet, qui avait déjà installé cette méthode d’exploitation par remblais sur la houillère de Commentry (Allier), que revient l’hon-