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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/180

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intelligente qui bientôt allait fonder si glorieusement Blanzy, le Creusot ne put résister à la concurrence d’usines rivales. L’heure des grandes forges à la houille n’avait pas encore sonné. On était en 1826. Sur ces entrefaites, se présenta la compagnie anglaise Manby et Wilson qui, venant substituer enfin aux anciens procédés suivis en France pour la fabrication de la fonte et du fer, les méthodes plus expéditives et plus économiques des usines britanniques, ranima le Creusot. Cependant les débouchés firent défaut à la production, et l’usine entra de nouveau en liquidation en 1836. Ne nous étonnons pas de ces premières épreuves, nous les retrouverions au début de toutes les grandes entreprises, comme si plusieurs générations de hardis pionniers devaient d’abord préparer la voie à leurs successeurs.

« En 1837, le Creusot passa aux mains de MM. Schneider, l’un mûri aux affaires commerciales et industrielles dans une des principales maisons de banque de Paris ; l’autre formé au dur travail des forges au fond des Ardennes. L’aîné des deux frères fut enlevé par un malheureux accident en 1845. Dès lors M. Eugène Schneider se trouva seul à la tête de ce grand établissement. Il a toujours supporté vaillamment le poids de cette charge, et c’est à son initiative que sont dues toutes les transformations opérées depuis au Creusot. À partir de 1837, cette usine n’a plus cessé de prospérer. L’atelier de constructions mécaniques créé à cette époque, en même temps que naissaient chez nous les chemins de fer et la navigation à vapeur, est devenu successivement l’un des plus vastes et des mieux outillés du monde, et a contribué puissamment à la réputation du Creusot. Une voie ferrée a relié l’usine au canal du Centre ; l’extraction de la houille, l’exploitation des minerais, le traitement de la fonte et du fer, tout a été perfectionné sans relâche. Le pays s’est bien vite ressenti de ces heureux changements et de tous ces progrès graduellement réalisés.

« En 1837, la localité comptait 3 000 habitants, elle en a aujourd’hui 24 000, et l’établissement seul n’occupe pas moins de 10 000 ouvriers. Le Creusot, qui extrayait alors 40 000 tonnes de charbon, de 1 000 kilogrammes chacune, en exploite à présent 200 000, en consomme le double. Enfin, de 20 000 tonnes de fer que l’usine produisait en 1847, le chiffre s’est élevé, en 1865, à 100 000 tonnes, le huitième de la production générale de la France.

« La fabrication des machines a suivi au Creusot une voie ascendante aussi rapide. On y livre annuellement 5 000 chevaux de force en machines de toute espèce ; 100 locomotives sortent aussi chaque année de ces ateliers pour commencer leur course infatigable sur tous les railways du monde.

« Devant de tels chiffres de production on est frappé du rôle que joue le Creusot dans la grande industrie française. Cette usine est exceptionnelle comme ensemble. Si l’on peut retrouver en Angleterre, par exemple, quelques établissements où la production soit égale et même supérieure pour une spécialité, il n’y a nulle part d’exemple de la réunion de diverses industries sur une aussi vaste échelle.

« C’est une houillère et une mine de fer qui ont été la première cause de ce merveilleux développement. Un morceau de charbon a donné naissance à tout un pays. »


II

LE TRAVAIL.


La houillère. — Puits Saint-Pierre et Saint-Paul. — Le soldat de l’abîme. — Ateliers de lavage et de mélange des charbons. — Fabrication du coke. — Les mines de fer de Mazenay. La plate-forme. — Les hauts-fourneaux. — Coulée de la fonte. — Moulage. — La nouvelle forge. — Puddleurs, forgerons, lamineurs. — L’atelier de constructions mécaniques. — Fonderie, chaudronnerie, forge de grosses œuvres, tournerie, ajustage et montage. — Le Petit-Creusot.

Puisque c’est d’une houillère et d’une mine de fer qu’est sorti le Creusot, parlons d’abord de l’exploitation de ces deux gîtes, avant de décrire les ateliers où se pressent les fondeurs, les forgerons et les mécaniciens. La houillère du Creusot fait partie, comme celle d’Épinac, du bassin de Saône-et-Loire. L’exploitation porte sur une énorme couche qui atteint jusqu’à cinquante mètres d’épaisseur. La couche a été rejointe au moyen d’un certain nombre de puits, et exploitée en premier lieu par la méthode des éboulements, plus tard par un système de galeries et d’étages réguliers, successivement remblayés. Aujourd’hui l’extraction de la houille est concentrée sur les puits jumeaux Saint-Pierre et Saint-Paul ; les autres puits ne servent plus qu’à l’extraction des eaux, à la descente des remblais ou à l’aérage de la mine. Les abords des deux puits jumeaux présentent un coup d’œil monumental. Une haute charpente, élégamment dessinée, porte les poulies. Autour des puits règnent un mouvement, une animation continue. Tout le monde est à l’ouvrage. Ici les receveurs, les hommes du jour, déchargent les berlines pleines du noir charbon que le câble a remontées du fond du gouffre. Là des femmes trient la houille, la séparent des schistes et du roc stérile, la classent en diverses catégories. Une partie du combustible est conduite par la locomotive vers un atelier de lavage spécial.

Au fond des puits s’ouvrent les sinueux boyaux où les mineurs, armés de la sape, éclairés par la lampe de Davy, font leur travail de taupe. Deux fois par vingt-quatre heures les postes entrent dans la mine ; le poste de jour à six heures du matin, le poste de nuit à six heures du soir. Groupés autour de l’orifice, les ouvriers attendent le signal. À un son de cloche, la cage se met en mouvement et descend dans l’abîme, emportant sa charge humaine, étagée sur deux rangs. En même temps, la cage vide remonte, qui reçoit à son tour son convoi de voyageurs. Les mineurs disparaissent dans le gouffre. On les entend causer au départ, mais bientôt la voix se perd, et l’on ne distingue plus que la pâle lueur des lumières. En peu de temps, l’armée souterraine est à l’œuvre. Grâce aux perfectionnements adoptés, les soldats du travail peuvent désormais être portés promptement et sans danger sur leur champ de bataille. Est-