Page:Le Tour du monde - 15.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

titulaires si nombreux et si variés dans les vieilles civilisations, disparaît peu à peu.

Après la distribution des palmes, la procession se forma et se développa dans Saint-Pierre jusqu’à ce qu’en tête on eût frappé, sur une des grandes portes, les trois coups traditionnels de cette fête ; puis elle se replia sur elle-même et rentra dans l’abside. Le pape portait en main un petit drapeau de paille tressée fort joli ; il l’envoie en cadeau à quelque grand personnage qu’il veut honorer. Les costumes militaires, ecclésiastiques, étaient fort beaux, mais la fin de la procession était effacée, pour le coup d’œil, par la présence des costumes des corps diplomatiques et des fonctionnaires civils ; ils suivaient le clergé, palmes en mains, et leurs fracs brodés ne pouvaient lutter d’effet avec les splendides costumes des cardinaux, des Suisses, et des officiers étrangers.

Lorsque chacun eut regagné sa place, la messe commença, et fut dite par un cardinal ; aujourd’hui le pape n’officiait pas ; il ne faisait qu’assister, ce qui diminuait beaucoup la splendeur de la cérémonie. Il est de tradition, parmi les voyageurs, de se retirer aussitôt après le retour de la procession, mais en somme, il vaut beaucoup mieux demeurer à Saint-Pierre jusqu’à la fin.


Porteurs du pape. — Dessin de A. de Neuville.

Les Suisses, aujourd’hui, étaient en petite tenue ; ils avaient la cuirasse et le panache rouge. Rien de singulier comme l’uniforme de ces soldats que l’on dit avoir été dessiné par Michel-Ange ; c’est un assemblage de noir, de rouge et de jaune, posés par bandes alternées, verticales et parallèles ; ils ont le haut-de-chausse, le pourpoint, les bas, la grosse collerette à tuyaux, le casque et la hallebarde ; dans les grandes cérémonies, ils mettent une cuirasse plus ou moins damasquinée selon la fête, et un casque, avec panache et queue tombante, plus ou moins luxueux comme la cuirasse. Lorsqu’en temps ordinaire, on rencontre, dans les rues de Rome, loin du Vatican (ce qui est au reste très-rare), un de ces Suisses en costume, il détonne dans le paysage comme une touche de couleur bizarre et trop vive ; on est tenté d’en rire. L’effet est tout autre lorsqu’en débouchant sur la place de Saint-Pierre, on en aperçoit un, campé, sa hallebarde à la main, à l’angle de la colonnade ; on se sent transporté dans un monde tout différent de la vie moderne ; cet uniforme se marie fort bien avec l’architecture, avec les idées qui en émanent ; et, si quelque chose semble singulier alors, c’est que soi, visiteur, on ne soit pas revêtu d’un costume de la même époque ; on fait tache à son tour, et on s’aperçoit mieux que l’habit noir ne pèche point par l’excès de coloris.

Je ne puis te rien dire sur la musique de la chapelle pontificale qui demanderait un volume spécial ; les chanteurs sont placés sous la coupole, à droite, en dessous de la statue de sainte Agnès ; leur tribune est élevée de deux à trois mètres au-dessus du sol ; elle est grillagée et dorée, et l’on ne peut voir ce qui se passe à l’intérieur. Aujourd’hui, l’exécution m’a paru faible ; mais la musique est curieuse à plus d’un titre ; c’est au reste à la Sixtine qu’il faut entendre ces chanteurs ; la musique qu’ils exécutent, leur nombre, tout est calculé en vue de cette chapelle et non de saint Pierre.

J’avais accompli vers midi la première partie de ma tâche du jour ; je me mis doucement en marche vers le Latran, où m’attirait le grand pénitencier je pris le chemin d’hier, par Sainte-Marie Majeure ; l’abside, au haut de sa longue rampe gazonnée, forme une des plus adorables vues de Rome ; partout au reste où Michel-Ange, à Rome, a mis sa main, il en est résulté quelque chose de fort et de gracieux à la fois. J’arrivai au Latran vers la fin des vêpres. À quatre heures eut lieu le grand pénitencier. Ces deux mots s’entendent de la cérémonie elle-même et du cardinal qui l’accomplit. C’est un reste de l’ancien affranchissement romain ; la baguette que l’on brisait ne sert plus qu’à toucher légèrement le pénitent, et cet attouchement s’applique à l’idée morale au lieu de s’adresser à l’idée d’esclavage. Le cardinal pénitencier est assis dans un confessionnal ; les pénitents s’agenouillent devant lui et reçoivent sur la tête un léger coup de la longue baguette d’osier blanc qu’il tient