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Son nom s’incarne dans les souvenirs les plus anciens de la chevalerie et des romans ; et ses exploits, soit réels, soit fabuleux, ont fourni une riche matière à la poésie, sinon une matière bien authentique à l’histoire. Voici le résumé de ce qu’en racontent les traditions.

Pendant les troubles qui suivirent la mort d’Uter Pen-Dragon, les nobles de Bretagne s’assemblèrent pour lui choisir un successeur ; après qu’ils eurent longtemps discuté, sans pouvoir rien décider, on découvrit, près du lieu où se tenait l’assemblée, une large pierre, dans laquelle était enfoncée une épée. Autour de cette arme, une inscription gravée en cercle, annonçait que celui qui tirerait l’épée était le véritable héritier du trône. Tous ceux qui ambitionnaient ce titre essayèrent en vain leurs forces ; Arthur, alors inconnu, survint et tira l’épée de la pierre aussi facilement que si c’eût été du fourreau. On le salua roi. Il accomplit alors les hauts faits que la légende a conservés, et entreprit ses longues guerres contre les Saxons, tant célébrées par les chants des bardes. Le roi breton possède, comme Roland, une épée merveilleuse, Caliburn ou Dure-entaille, pareille à la Durandal du héros français : de plus il a « la lance du commandement, » sans doute la fameuse lance sanglante symbolisant la guerre à outrance contre les Germains.

Arthur eut une carrière longue et glorieuse, jusqu’à la trahison de son neveu Mordred, et périt dans un combat contre ce dernier. Au milieu de la bataille, Arthur se sentant blessé, donna son épée Caliburn à un de ses chevaliers, en le priant de la jeter dans un lac qu’il lui désigna. Arrivé au lieu indiqué, le chevalier lança l’épée de toute sa force : comme elle retombait, une main et un bras sortirent des eaux, et la saisissant par la poignée la brandirent trois fois, et disparurent avec elle dans le lac. Cette main, a dit M. Renan, c’est l’espérance des races celtiques. Arthur fut ensuite enlevé dans une barque par Morgane, Viviane, et autres fées qui le conduisirent dans l’île d’Avalon (Glastonbury).

La disparition d’Arthur resta aussi mystérieuse pour les Bretons, que celle de Romulus, enlevé, dit-on, au milieu d’un orage. Le retour d’Arthur fut longtemps la plus chère espérance de la race Cymrique. On disait que, guéri de ses blessures, il attendait dans une retraite féerique l’heure de recouvrer ses États après en avoir chassé tous les Saxons.


Le château de Raglan. — Dessin de Grandsire d’après M. A. Erny.

Au douzième siècle, le roi Henri II fit fouiller dans le cimetière de l’abbaye de Glastonbury, et l’on trouva une inscription qui indiquait le lieu de sépulture d’Arthur : à seize pieds en terre on découvrit un chêne creux rempli d’os d’une grandeur démesurée[1].

Quant à la fameuse table ronde, elle est plus vieille que le roi breton, car le Grec Posidonius (contemporain de Marius) raconte que les convives dans les festins des Gaulois se rangeaient autour d’une table ronde, et qu’après le repas, les guerriers aimaient à se provoquer à des combats simulés. « Cette table, a dit M. de la Villemarqué, n’est-elle pas le prototype de la table chevaleresque d’Arthur et des tournois du moyen âge. Cela est tellement vrai que ces êtes étaient encore désignées sous le nom de Table Ronde par les écrivains des siècles de la chevalerie. » La Table Ronde fut au moyen âge le symbole de la chevalerie galante comme le Graal devint le symbole de la chevalerie ascétique.

Le lendemain de mon arrivée à Newport, voulant visiter à mon aise le château de Raglan, je partis de grand matin pour Usk, et restai quelques heures à parcourir cette vieille ville qu’on croit avoir été le Burrium des Romains. C’était anciennement une place importante : mais elle est bien déchue, et ne forme plus qu’un petit village de quelques centaines d’habitants. Elle occupe une langue de terre à la jonction des rivières Olway et Usk ; ses rares maisons sont disséminées parmi des vergers et des jardins. Une charmante promenade conduit, aux ruines du château, du haut duquel on a une vue admirable des environs. La tradition désigne cet endroit comme le lieu de naissance d’Édouard IV et de Richard III. En quittant Usk, on rencontre d’anciens campements romains et bretons.

On arrive bientôt au village de Raglan, près duquel s’élève le château du même nom, une des plus belles ruines du pays de Galles. La principale entrée est magnifique, sous son épais manteau de feuillage et de lierre. Le portail gothique est défendu par deux tours massives ; l’intérieur du château présente de riches spécimens des divers styles d’architecture depuis le temps d’Henri V jusqu’à celui de Charles Ier. Les scul-

  1. Les Gallois et les Bretons refusèrent de croire à l’authenticité de la découverte du roi Henri, et l’histoire par d’autres motifs est d’accord avec la légende pour admettre que la prétendue trouvaille fut une supposition de la politique. (Note de M. Henri Martin.)