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sévérance que les pères de la colonie parvinrent à organiser leur établissement sur le Volga. Mais, à des commencements difficiles succéda une rapide prospérité[1]. »

Hélas ! la fondation de Sarepta date du temps où régnait Catherine II, où gouvernait Potemkin et où le fantasque et puissant favori aimait à émailler d’églogues suisses et allemandes l’âpre sol de l’empire confié à ses soins. On se rappelle les décors d’opéra comique, les villages factices, les chalets de carton, les forêts sans racines, les moujiks enrubanés, les Cosaques déguisés en bergers de Florian, dont il borda la route suivie par sa souveraine allant visiter la Tauride. De ces jeux d’une autocratie capricieuse, que restait-il le lendemain ?… De la pastorale fondée pour un peu plus de temps à Sarepta, que reste-t-il aujourd’hui ? Le vent des steppes asiatiques a tout emporté.

La navigation sur le Volga se fait au moyen de bateaux très-longs, qui ressemblent fort aux anciennes galères ; sur la plupart on a établi, pour la facilité de la manœuvre, de larges galeries qui dépassent les bords du bateau et lui tiennent lieu de pont.

Au milieu du bâtiment se dresse un mât garni de deux vergues et d’une grande voile carrée : on s’en sert quand le vent est favorable.

Depuis que l’on a fait des routes sur les bords du Volga, les bateaux font moins usage de rames, de voiles, et, presque tout le long du fleuve, il y a des stations de Bourlakis pour les haler.

Ces Bourlakis sont une race d’ivrognes et de paresseux, très-disposés à remplacer les anciens bandits qui attaquaient les barques avec impunité au moyen des refuges que leur assuraient les innombrables îles situées au milieu du fleuve, ainsi que les forêts et les montagnes, voisines de ses rivages.

Les autorités russes ont eu déjà fort à faire avec eux, à propos des remorqueurs à vapeur.

J’ai vu sur le Volga, de grands bâtiments de transport, dont l’arrière était décoré, même avec profusion, de sculptures et de peintures ; les dorures ne sont point épargnées. Ces navires sont construits avec une grande élégance de forme ; on les nomme Baschiva.

Le Volga, qui reçoit les eaux d’une infinité de grandes et petites rivières, est toujours d’une dangereuse navigation par suite du grand nombre de ses angles, bas-fonds, d’îles et bancs de sable.

C’est seulement au mois de mai que ces affluents, considérablement grossis par la fonte des neiges, et faisant monter les eaux au-dessus du niveau ordinaire, diminuent tous ces obstacles.

Le Volga n’est pas sans quelque rapport avec le Nil ; l’accroissement de ses eaux est tel, au printemps, que le fleuve recouvre en grande partie les îles et les rives : il n’y a que les très-grands arbres dont on puisse voir encore le sommet ; ces inondations répandent une remarquable fertilité.

En hiver le Volga gèle entièrement et la glace est assez forte pour supporter les traîneaux les plus lourds. À Astrakan et sur la mer Caspienne, la saison froide dure à peine deux mois, quelquefois un seul.

En sortant de Sarepta, nous côtoyons une grande île d’une vingtaine de verstes de longueur sur dix de largeur. Elle est occupée par des pâturages et des prairies. Nous commençons à apercevoir quelques pélicans sur des bancs de sable.

Toute la contrée abonde en hermines. Il paraît que la réputation de douceur qu’on a faite à ce joli rongeur est quelque peu exagérée et qu’on doit le ranger parmi les animaux féroces. On a essayé de l’apprivoiser sans y parvenir. On a beau lui donner la nourriture en abondance, l’hermine mord vigoureusement aussitôt qu’on l’approche. C’est d’ailleurs un animal très-courageux. Il attaque et poursuit des rats énormes jusque dans leurs trous ; aussi les cultivateurs, au lieu de les chasser, les protègent autant qu’ils peuvent. Une hermine enfermée dans un grenier met à mort, grâce à son agilité, toutes les souris, sans en excepter une, y en eût-il un millier.

Nous approchons des campements de Kalmouks. Le steppe jusqu’à Astrakan est leur séjour. À la fin de l’automne, ils passent le Volga et vont chercher une contrée plus chaude au bord de la Kouma.

La rive droite du fleuve cesse peu à peu d’être boisée ; les montagnes s’éloignent à l’est ; le sable commence à dominer partout. Le Volga se divise en plusieurs bras, qui forment en se ramifiant des îles nombreuses, nues et arides, où la végétation se ralentit, où les arbres deviennent de plus en plus rares.

Notre capitaine a fait à Tzaritzyn une large provision de bois ; il en a même chargé les navires qu’il remorque. Dans la province d’Astrakan le combustible est rare ; la ville ne s’en approvisionne qu’à l’aide des bateaux qui descendent du Nord.

Nous passons sans nous arrêter devant la ville d’Enostaevsk, sur la rive droite, et, comme nous marchons lentement, j’ai le temps de dessiner les campements de plus en plus nombreux : les Kalmouks se disposent à faire leur émigration vers le Sud.

Enfin nous apercevons, dans la brume dorée d’un magnifique soleil couchant, les coupoles des minarets et une multitude de mâts de navires, c’est Astrakan[2].

Moynet.

(La fin à la prochaine livraison.)



  1. Voyage dans les steppes de la mer Caspienne, édition de 1860, p. 92 et suivantes. Paris, Hachette et Cie.
  2. Voyez tome Ier (1860, premier semestre).