Page:Le Tour du monde - 15.djvu/91

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défait les clayonnages, et les chameaux, qui paissent tranquillement, sont rechargés ; on entasse de nouveau sur leur dos piquets, feutres et cordages ; les grands plats en fer et les vases en cuir sont raccrochés avec les autres ustensiles, sans oublier le filet où les plus jeunes marmots sont replacés, sans que cela paraisse les distraire le moins du monde de l’absorption des victuailles dont ils se sont emparés ; les troupeaux sont ramenés, les cavaliers se remettent en selle, et la caravane reprend sa marche au pas ; elle disparaît, cachée par le pli de terrain au-dessus duquel elle nous est apparue deux heures auparavant ; nous entendons pendant quelque temps s’éloigner decresendo ses chants et ses clochettes.

La représentation est terminée ; il n’y a manqué pour compléter l’illusion que la musique de Félicien David.

Ce drame, où tout est vrai, l’action, les acteurs et les costumes, jusqu’au décor, est une des choses les plus complétement réussies que j’aie vues de ma vie. J’ai eu plusieurs fois sous les yeux dans le désert la même scène plus imposante par la quantité des acteurs et par l’isolement complet dans lequel nous nous trouvions ; mais, sous cette tente, devant une douzaine de spectateurs et quelques jolies femmes en costume parisien, l’opposition était bien complète ; la vie civilisée et la vie sauvage étaient en présence.

Maintenant on amène des chevaux. Nous allons jouir du spectacle d’une grande chasse au faucon. Six fauconniers, avec leurs élèves au poing, doivent nous accompagner. Il faut compter un peu sur le hasard, le pouvoir du prince ne s’étendant pas jusqu’à forcer le gibier à se faire prendre. Le gibier toutefois est d’ordinaire assez abondant pour nous faire espérer une rencontre heureuse. Après une demi-heure de course, on aperçoit plusieurs vols de cygnes sauvages. Je m’approche de nos fauconniers, afin d’étudier de près leur manière d’agir, car ce genre de chasse, fort employé en Orient, pourra peut-être nous devenir utile, lorsque dans le cours de notre voyage, les oiseaux que nous voudrons poursuivre viendront à passer trop loin de nos fusils.


Le Volga (rive droite). — Dessin de Moynet.

Le premier faucon déchaperonné jette un cri aigu en voyant la lumière et part comme un trait, droit sur les cygnes. La lutte est courte et se passe trop loin de nous pour que nous en voyions bien toutes les péripéties. Au bout de quelques minutes, l’oiseau attaqué et combattant toujours, tombe dans le Volga avec le vainqueur.

Nous assistons aussi à la chasse au héron gris, qui est absolument semblable, si ce n’est que le héron, à peine blessé, nous est apporté tout vivant. On le garde pour devenir un des hôtes un peu forcés du jardin du prince.


Les Kalmouks hippophages. — Une soirée à la française. — Les chevaux sauvages. — Les dompteurs. — La lutte.

Nous retournons au château, où nous attend un dîner homérique. Trois cents d’entre les vassaux de notre hôte au moins y prennent part. La salle à manger, où est dressée la table d’honneur, ouverte de toute part, nous permet de voir les convives s’efforçant de faire honneur par leur appétit, à l’hospitalité de leur chef.

On a tué pour la circonstance plusieurs chevaux ou bœufs et quelques moutons. Le bœuf est à notre intention, quoique la table soit couverte de morceaux de cheval tout à fait appétissants.

Les Kalmouks préfèrent de beaucoup « la plus noble conquête » de l’homme au bœuf et à la vache, dont ils n’élèvent, du reste, qu’une très-petite quantité. Le lait de vache, chez eux, ne jouit, comme je l’ai dit précédemment, que d’une médiocre estime.

Ils sont grands éleveurs de chevaux ; beaucoup en ont jusqu’à deux mille. Le prince Toumaine en possède