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2 | LE TOUR DU MONDE. on

Si le temps est beau, c’est un vrai plaisir de partir à . cette heure matinale. Quand on a contourné la montagne sur laquelle est bâti le quartier de cavalerie {le Mansourah}, le rocher de Constantine disparaît promptement aux yeux des voyageurs ; on suit la rive du Bou-Merzoug jusqu’au Kroub. Tout respire La civihsation et la vie ; de petites maisons bordent la rivière et se cachent coquettement sous l’ombrage des saules ou des eucalyptus ; des jardins fertiles les entourent. À droite, sur l’autre rive, ce bâtiment qui domine toute . la vallée, c’est le grand séminaire. La route se peuple, et les longues files de chameaux qui portent à Constantine les produits du Sud entravent de temps à autre la marche de la diligence. Le Kroub est un village très vivant, animé surtout par le passage des voitures publiques ; il s’y tient un important marché de bestiaux. |

Du Kroub aux Oulad-Rahmoun on traverse une plaine de grande culture. En arrivant à ce dernier village il faut quitter la route de Batna pour tourner brusquement à gauche ; l’aspect du pays change ; les arbres disparaissent, et, en fait d’habitations européennes, on ne rencontre plus jusqu’à Aïn-Beida que les caravansérails établis Le long du chemin par le gouvernement.

Après le premier relais on passe près du Bordjben-Zekri bâti au milieu des ruines de l’ancienne ville de Sigus, respublica Siguilanorum, qui s’étendent dans la plaine des Segnia. Cette cité a été rendue célèbre par le séjour que les rois numides y ont fait à différentes époques. Les inscriptions romaines qu’on y a recueillies remontent au règne d’Hadrien.

Voici Aïn-Fakroun, caravansérail où l’on s’arrête pour déjeuner. Il n’y a pas à hésiter : il faut prendre ce qu’on trouve, bien heureux de trouver quelque chose. On est naturellement écorché et mal traité. C’est là que d’ordinaire on fait connaissance avec-ses compagnons de route. |

À mon dernier voyage le coupé de la voiture avait été retenu par un général du génie en tournée d’inspection accompagné de deux officiers de la même arme. Naturellement je pestais contre lui, puisque nous avions été réduits, Georges Moynet et moi, à nous empiler dans l’intérieur avec des Arabes malpropres, mais nous comptions bien nous dédommager à table et nous reposer un instant en jouissant de la compagnie des officiers. Le vieux brave n’avait rien d’aimable. Soit ennui, soit sentiment de sa dignité, pendant le repas il n’ouvrit la bouche que pour manger où pour maugréer. Ses aides de camp imitèrent prudemment leur supérieur hiérarchique et nous dûmes atterdre une meilleure occasion pour nous rapprocher de lui.

Moul-Abeïir et Oum-el-Bouaghi sont les deux autres points auxquels on touche avant d’arriver à Aïn-

Beida. Ces deux localités sont devenues, dans le lan-

gage des soldats et des colons, Moule à beurre et Bourbaki. Avis aux philologues de l’avenir !


Devant la porte du caravansérail d’Oum-el-Bouaghi un Arabe était étendu sur le dos tandis que l’un de ses coreligionnaires lui piétinait le ventre de son mieux. C’est, paraît-il, un remède souverain pour chasser la fièvre. Je ne le crois pas encore approuvé par l’Académie de médecine. Un autre moyen non moins efficace consiste à brûler sous le nez du fiévreux un morceau de couenne de porc munie de ses poils. On. peut choisir entre ces deux spécifiques.

Au même endroit un indigène tout radieux portait dans ses bras une petite fille de trois ans, pleine de santé ct plus propre que ne le sont d’ordinaire ces malheureux enfants. Elle avait les oreilles garnies d’anneaux d’argent ; un collier, composé de coquillages, de coraux et de vieux sous, lui donnait tout à fait bon air. Comme je demandaïs au père la cause de sa joie et des. démonstrations de tendresse qu’il prodiguait à l’enfant : « C’est, me dit-il, que je viens de la vendre à nron voisin pour son petit garçon qui a le même âge. Ils se marieront ensemble ; j’ai touché l’argent. » Voilà au moins une union qui ne se fera pas contre le gré des parents. ?

Au pied du Djebel-Sidi-Rouis la route devient de plus en plus mauvaise ; on n’avance que lentement au milieu des fondrières. Qà et là quelques oliviers rabougris dressent leurs têtes chauves dans ces champs désolés et restent debout comme les derniers témoins de l’ancienne fertilité du sol. Sur la droite s’étendent de grands lacs salés dont le plus important est le Guerah-el-Tharf. Dans certaines saisons les bandes d’oiseaux qui s’abattent sur leurs bords sont innombrables. Les points noirs qui émaillent la plaine sont les tentes des. fractions de la grande tribu des Haracta. Les troupeaux viennent boire aux fontaines qui bordent la route ; les femmes descendent de la montagne voisine, chargées de lourds fardeaux, et des enfants à peine vètus regardent passer la voiture, courent derrière, et s’accrochent à la portière comme de vrais gamins de Paris.

Mais le chemin devient meilleur ; lés chevaux prennent une allure plus rapide, Le postillon fait entendre les coups de fouet traditionnels ; il est six heures du soir ; nous arrivons à Aïn-Beida. Vingt-neuf lieues nous séparent de Constantine.

Ïl ne reste debout aucun monument antique à Aïn-Beida : les nombreux fragments encasirés dans les murs des maisons, ou réunis dans le jardin public devant la demeure du commandant supérieur, sont là cependant pour attester l’existence d’un poste romain assez important. De beaux chapiteaux de basilique

décorent l’entrée de l’auberge. Les rues sont droites,

tirées au cordeau et bordées de petites maisons basses, blanchies à la chaux. Le gros de la population se compose d’indigènes ou d’israélites.

Il y a dans la ville plusieurs de ces petits bazars tenus par des Mzabites dans lesquels les Arabes viennent chercher tout ce que la civilisation la plus raffinée peut leur offrir de mauvaises confections à bon