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Sur le causse ardent, sous le ciel bleu, la lumière rayonne ; en bas, au fond du ravin, s’étendent des prés blanchis par la gelée et tout fumants au soleil matinal.

Nous quittons bientôt la route pour prendre un sentier, nous traversons l’Alzou, dont les remparts de pierre se sont abaissés. Les eaux du ruisseau, bues par la rocaille bien avant Rocamadour, se sont montrées après un long voyage souterrain pour se mêler aussitôt à l’Ouysse, rivière herbeuse et verte dont nous nous mettons à remonter les bords.

Dans ce doux vallon, où s’exhalent des vapeurs légères qui vont flottant mollement sur les eaux, la gelée a poudré à blanc les prés et les feuilles rougissantes des arbustes. Dans cette gelée fondante, le soleil fait scintiller de capricieuses arabesques, allume des lueurs diamantées, des scintillements d’or et de feu.

Le paysage est adorable tout au long de cette rive, dans ce vallon où se trouvent confondues à la fois des douceurs de printemps, des colorations d’automne et les premières pâleurs de l’hiver. Sans cesse à travers la feuillée frissonnante poudroie une falaise de roches grises accompagnant la nappe tranquille, tandis que des échappées sur des horizons bleus ajoutent une séduction nouvelle aux tableaux charmants qu’on découvre à chaque pas.

Un instant une écluse versant à flots de l’argent liquide dans le sombre chatoiement des eaux réveille la rivière endormie, et un tictac de moulin anime la solitude. La rivière, reprise ensuite par son sommeil, va s’allongeant et s’étalant comme pâmée sous l’étreinte de ses gracieuses rives.

Arrivés au confluent des sources qui jaillissent des gouffres de Cabouy et de Saint-Sauveur, nous attendons la barque qui doit nous permettre de continuer notre excursion. Comme elle tarde à venir, nous tentons une chasse aux poules d’eau, nombreuses dans ces parages. Lion, qui n’a pas perdu l’occasion de m’escorter, nous suit avec des airs de prudence divertissants. Nous avançons lentement, en silence, au milieu des vapeurs qu’exhalent les prés, à travers les joncs de la rive, dardant nos regards sur la rivière où les poules risquent curieusement leur tête pour replonger aussitôt.

Un chercheur de truffes.

Où sont-elles ensuite ? Souvent derrière une feuille de nénuphar, épiant pour disparaître dès qu’on met en joue.

La barque arrive, le gibier effarouché ne se montre plus.

Maintenant, bercés par la cadence des rames, nous voguons sur l’Ouysse montant au gouffre de Saint-Sauveur, à travers une sorte de longue prairie mouvante, faite de joncs, d’iris, de cresson et de nénuphars, sous les criailleries de corneilles dont nous avons troublé la quiétude.

Nous sommes bientôt à la surface du gouffre, qui forme un lac autour duquel les flancs de la montagne boisée s’arrondissent en majestueux hémicycle.

L’onde sommeille. Par endroits seulement quelques bouillonnements silencieux montent de profondeurs que jamais personne n’a sondées. Lorsqu’on se penche, le regard s’égare dans les mystères d’un monde étrange et nouveau ; il y pénètre vaguement comme à travers une émeraude un peu trouble. Des formes indécises s’y meuvent, s’y transforment, ondoient et s’évanouissent lentement pour renaître et ondoyer encore à des distances qu’on ne peut apprécier.

Autrefois des arbres centenaires couvraient l’endroit d’une voûte obscure. On allait, dans une nuit profonde, sur un cristal noir dont le mystère infernal saisissait. Ces colosses, victimes de la cognée, sont tombés,