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fraîcheur incomparable qui font miroiter de vagues lueurs d’émeraude dans les mystères du défilé.

Voici, contre une paroi de la falaise, le moulin du Sault.

La gorge est resserrée entre une double muraille qui monte haut vers le ciel. Le moulin est taillé en partie dans la roche. Nous entrons dans cette maison obscure et nous descendons par des marches faites de dalles glissantes au milieu d’un bruit infernal, secoués par la trépidation des meules qui tournent furieusement dans l’escalier humide et noir.

Mais nous revoyons bientôt la lumière, nous sommes arrivés au lit du torrent, encore une roche à franchir comme on pourra, une planche à mettre en travers de l’Alzou et nous voilà sur l’autre bord : nous pouvons respirer et contempler.

Et vraiment le site est grandiose !

Dans le profond couloir, entre les hautes falaises qui supportent le causse, une cascade se précipite et se brise écumante après un bond de 10 mètres ; le flot scintillant circule sur des dalles lisses et retombe à côté de nous en mugissant dans un gouffre. Le moulin, là-bas, s’appuie tout humble à la paroi.

Partout la feuillée frissonne, les eaux clament et courent : devant nos yeux s’élèvent des rochers à pic, à nos pieds s’ouvre un abîme grondant. Et du milieu de la fraîcheur de ce coin sauvage, à travers la sombre fissure, je vois le soleil sourire là-haut sur les falaises d’or et un coin du ciel bleu trembler dans une chaude vibration.

Nous avons repris l’escalier noir du moulin, gravi le sentier, et regagné le causse. D’une haute corniche qui s’avance sur l’abîme nous nous sommes penchés sur l’affreuse et belle déchirure où passe ce ruisseau dont les eaux vont disparaître sous terre avant d’arriver à Rocamadour pour revoir un instant la lumière au moment de se mêler à l’Ouysse.

Le soir vient. Le soleil comme un grand disque d’or va s’enfoncer à l’horizon, dans un chaos de brumes violacées. L’astre est sans rayons, la froidure du causse nous gagne. C’est l’heure mystérieuse où, par les sentiers, les pâtres vêtus de l’antique camiaou vont chassant leur troupeau devant eux. Sur le ciel rougi de novembre les arbres dépouillés cisèlent en arabesques leurs enchevêtrements de branches et découpent sur le ciel leurs troncs obscurs et les feuilles que l’automne a épargnées.

« Le couchant, me dit mon guide, indique du froid prochain, l’hiver arrive. »

Un berger du causse.

Nous poursuivons silencieusement la route.

Lorsque Rocamadour a montré, en silhouette sur un ciel plein de lueurs de fournaise, ses monuments guerriers, ses édifices sacrés et ses hautes falaises, je me suis arrêté pour contempler encore.

Perdu dans une longue rêverie, j’ai vécu un instant de lointaines journées passées dans ce pays.

J’ai revu, cheminant dans la rocaille comme aux jours derniers, toute l’étrangeté du causse.

La scène fantastique de l’escalier des pèlerins sous la lune monstrueuse m’est apparue comme un rêve et j’ai suivi les bords de l’Ouysse au charme suggestif et puissant.

Les ardeurs du couchant se sont maintenant éteintes, la gorge béante s’est emplie d’ombre et une étoile a frissonné doucement dans le ciel pâli au-dessus des antiques sanctuaires.

Nous descendons à travers une nuit profonde par la route blanchissante dont les rubans indécis serpentent vers l’abîme et vont s’évanouir dans le ténébreux mystère où Rocamadour s’est endormi.


Gaston Vuillier