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2 LE TOUR DU MONDE.

quinzaine de lieues de l’embouchure. Je l’en ramène avec des fièvres copieuses, ainsi qu’il convenait. Je les lui coupe encore et le crois vacciné. Nous allons partir.

Mes instructions me disent d’étudier la chaîne des monts Tumuc-Humac et le pays compris entre le haut Maroni et le haut Oyapock. M. Le Cardinal m’a déjà déterminé à merendre aux Tumuc-Humac par le Maroni : le gouverneur tient à ce que je commence de ce côté afin que je le renseigne sur les affaires des placers du Contesté Franco-Hollandais.

Mais voici une nouvelle qui me fait désirer bien vivement d’arriver au plus vite au Maroni : Apatou, l’ancien compagnon de Crevaux, Apatou me fait écrire, du bas Maroni, où il habite maintenant, qu’il est disposé à m’accompagner.

Apatou, le fidèle Apatou, le fameux Apatou, l’illustre Apatou ! précieuse acquisition, bonne aubaine. Ét je vais répandant autour de moi la bonne nouvelle.

On essaye bien de me mettre en garde contre mon enthousiasme, M. Le Cardinal me fait une foule de réserves à l’endroit de la fidélité et de la probité du célèbre Boni. N’importe, j’y vais de confiance. La légende a plus de force que l’histoire.

Le 8 août, le beau troismâts Zante, à bord duquel MM. Wacongne et Antier, les consignataires, avaient bien voulu m’accorder passage, nous pousse, toutes voiles de-




nous retrouverons un jour dans quelques mers lointaines, et Je vous régalerai encore, à Batavia ou à Mascate. | |

Et voici maintenant que je tombe au milieu de l’Administration Pénitentiaire.

Ni hommes, ni vivres, ni canot. Le Grand-Man de l’endroit s’est esquivé dès qu’il m’a su au mouillage, ct c’est son vice-recteur qu’il a chargé de me rire au nez.

Aussi Laveau court-il tout de suite chercher Apatou.

Trois jours plus tard, à neuf heures du matin, j’étais occupé à faire du roucouyenne dans ma chambre quand j’entends frapper à la porte de Ia véranda qui donne sur le jardin. Étant allé ouvrir, je vois, escorté de plusieurs grands nègres vêtus de colliers de cuivre, deux hommes. L’un estun blanc, pâle, maigre, aux yeux caves ; je ne tarde pas à reconnaître Laveau. Le pauvre garçon avait canoté tout le Lemps et me rapportait une tête de deux jours de fièvre et de deux puils sans sommeil. L’autre était Apatou,

Apatou est un homme de cinquante ans, grisonnant, presque chauve, et d’une ossature massive. Il porte une moustache assez forte. Ses dents sont très blanches, ses yeux un peu jaunes, le regard est trouble par instants, L’expression est tantôt doucereuse et tantôt dure ; ce qui surnage en lui, c’est un air de bonhomie pateline. Il à l’abord modeste, presque timide : 1l se revêt, pour




Len

hors, vers Saint-Laurentdu-Maroni, où nous touchons au bout de trente-six heures, quelques heures de plus que n’en met pour ce trajet l’aviso à vapeur de la colonie, le légendaire Oyapock, vieux bateau à roues qui périodiquement, et pour la quatrième fois depuis vingt ans, renaît de ses cendres sans en devenir meilleur.

J’avais retrouvé toute la France sur le pont de ce trois-mâts de la basse Loire, au milieu de ces matelots de Pornichet. Un bon souvenir, de loin, une bonne poignée de main à travers l’espace, à tous.ces vaillants qui ne me hront. jamais, au vieux capitaine, le père Lancau, et aux braves gens de son équipage. Si ma poche est jamais assez pleine, mes bons loups de mer, pour me permettre de voyager à mon plaisir, nous

Apatou primitif, — Dessin de Riou, d’après une photographie,


se présenter, d’un faux air d’humilité. Il est coïffé d’un panama, chaussé de pantoufles à semelles de caoutchouc, et vêtu d’un pantalon de toile : bleue et d’une chemise-veston en toile fine, blanche, à brandebourgs, avec de petits boutons de cuivre. C’est élégant pour un costume de"voyage.

« Je suis ici, me dit-il, le serviteur de la Société de Géographie. Parions. Mes Bonis, mes Youcas, mes Saramacas vont nous conduire à Cottica, où le Grand-Man des Bomis nous fournira des canots et des hommes pour pousser chez les Roucouyennes. Il vous faudra passer par les prix de la rivière, qui ne sont pas doux, mais moi, je ne serai pas exigeant. » Cela dit en créole de Cayenne véritablement fort mauvais.

Il y à longtemps qu’il m’attendait, ajoute-t-il. Quand