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DES TRENCAVELS.

vous était au village de St.-Galderic que l’on, voyait de loin, déjà entouré d’une foule nombreuse, et d’où se répandaient dans l’air les sons aigus et discordans des voix d’hommes et de femmes qui chantaient des cantiques. Les chevaliers voulurent s’informer des motifs de ce rassemblement. Ils adressèrent leurs questions à quelques personnes qui paraissaient former le cortège d’une femme vêtue avec simplicité, mais dont la démarche décelait un rang supérieur. Elle-même s’arrêta pour répondre aux voyageurs : « Si la parole de Dieu vous est chère, » dit-elle, « venez avec nous. Le prophète est à St.-Galderic ; les fidèles y viennent de tous côtés pour entendre ses conseils, et recevoir les consolations dont le malheur des temps rend le besoin si pressant. La prière est notre dernière ressource, maintenant que la désolation est dans le royaume d’Israël, et que les brebis du bon pasteur sont livrées comme une proie aux loups déchaînés par la rage de l’Antéchrist ? »

« Madame, » dit Raimbaud, « les maux,

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dont vous vous plaignez sont les nôtres.

Nul n’a éprouvé plus que nous l’amertume des douleurs publiques ; daignez nous écouter hors de la foule ; vous apprendrez le secret de nos peines auxquelles vous n’êtes point étrangère ; car, si j’en dois croire mes yeux, la forme des vêtemens vulgaires que la piété vous a fait choisir, et votre longue absence des terres du comte de Foix, ne peuvent m’empêcher de reconnaître son illustre sœur Esclarmonde, la Dame de l’Isle-en-Jourdain(1). Quant à moi, je suis Raimbaud de Montaillou, l’un des vassaux de votre frère les plus chers à son cœur, et celui qu’il avait choisi pour partager ses dangers, et les travaux guerriers de son cousin Trencavel, vicomte de Carcassonne et de Béziers. »

Esclarmonde, se séparant aussitôt des personnes de sa suite, écouta en frémissant les tristes nouvelles de la captivité de Trencavel, et de l’abandon de la cité de Carcassonne. Elle prit l’enfant dans ses bras, l’arrosa de ses larmes, invoqua en sa faveur

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l’assistance divine, et promit de joindre ses soins maternels à la puissante protection de son frère. Elle invita de nouveau les chevaliers à l’accompagner à St.-Galderic.

« Nous présenterons, » dit-elle, « au vénérable pontife de la loi, au vertueux Ponce Jourdain, ce dernier reste des princes de Sion, ce faible Joas, échappé au poignard de l’Athalie romaine. Il le bénira, et la Providence, lassée enfin des iniquités de la persécution, fera naître pour lui des jours de réparation et de triomphe. »

Raimbaud et Alfar suivirent la sœur du comte de Foix, et entrèrent avec elle à St.-Galderic, où la foule ouvrit ses rangs pour les recevoir. L’église du village, quoiqu’assez vaste, ne pouvait contenir qu’une petite partie des assistans. La multitude, qui remplissait une grande place adjacente, obstruait les rues voisines, occupait les fenêtres, et couvrait les toits des maisons environnantes. Un échaffaud recouvert d’une toile grossière était adossé au portail de l’édifice sacré. Le silence le plus