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talons rouges rehaussés de galons et de boutons d’or. La coupe est aussi parfaite que l’étoffe. La main de l’artisan d’outre-mer s’y décèle. Tous ces hauts fonctionnaires s’expriment en anglais ou en français sans ces exagérations de mots et de gestes qui souvent rendent fatigant le commerce des Asiatiques. Ils montrent même cet abandon, cette simplicité parfaite que seuls peuvent se permettre les esprits d’élite et les gens de bonne souche.

Habillés de calicot rouge, du capuchon aux brodequins, ce qui leur donne un faux air de dominos, des domestiques viennent annoncer que l’Empereur est prêt à me recevoir. Un étroit couloir de bois naturel, auquel nous accédons par une petite porte, nous mène dans la cour d’honneur, basse-cour devrait-on dire. Des communs la bordent sur les deux côtés et, au milieu, sur les boues accumulées, a été jetée une passerelle de planches, relevée pour la circonstance d’un tapis de feutre à grands ramages. Pour réussir sur ce chemin périlleux, les vertus d’un équilibriste sont nécessaires, et la souplesse d’échine des courtisans y trouve ample occasion de s’exercer. La porte de la salle d’audience s’entr’ouvre aussitôt dans un silence religieux. D’un premier coup d’œil, j’aperçois une haute galerie tapissée d’un aveuglant papier indigo, puis, au milieu de la pièce, debout, adossé à un paravent et les mains prenant appui sur une table, l’Empereur. L’expression est bienveillante. Le pâle visage reflète de la douceur. Les yeux sont d’une affreuse tristesse. Li-Hsi porte une casaque de damas jaune richement brodée de fleurs et d’emblèmes mystiques, ornée d’une ceinture aux incrustations de jades beaucoup plus large que la taille, affectant ainsi l’apparence d’un cercle autour d’un tonneau défoncé. Sa Majesté est coiffée du haut casque de crins noirs.

Elle me retient longuement, avide de renseignemens sur les souverains, les mœurs, les institutions de l’Occident. Elle ne peut retenir quelques paroles marquant son vif désir d’un voyage en Europe et comme la phrase s’achève, dans ses yeux mélancoliques, une larme paraît. Le monarque a paru satisfait de ce que je lui ai rapporté des œuvres et des écoles de l’Église catholique, si cruellement persécutée par ses ancêtres.


XIV. — LE NOUVEL EMPEREUR. — LE DERNIER TRAITÉ CORÉEN-JAPONAIS


Le nouvel Empereur est très dissemblable de son père. Taci-