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complexe figure d’Olivarès, telle qu’elle m’apparaissait dans plusieurs tableaux de Velasquez, — dans les deux portraits équestres de Madrid et de Schleissheim, dans un admirable petit portrait en buste de Saint-Pétersbourg, et dans une peinture de Grosvenor House, à Londres, où le ministre s’avançait, nu-tête, sur le seuil d’un manège, au-devant du jeune prince Balthazar Carlos. L’aspect extérieur et le caractère de cet homme d’État, jamais assurément, depuis Velasquez, personne ne les avait mieux saisis et exprimés que Lesage dans les lignes suivantes :


Je vis un homme d’une taille au-dessus de la médiocre, et qui pouvait passer pour gros dans un pays où il est rare de voir des personnes qui ne soient pas maigres. Il avait les épaules si élevées que je le crus bossu, quoiqu’il ne le fût pas. Sa tête, qui était d’une grosseur excessive, lui tombait sur la poitrine ; ses cheveux étaient noirs et plats, son visage long, son teint olivâtre, sa bouche enfoncée, et son menton pointu et fort relevé... (Quant à son caractère), il a l’esprit vif, pénétrant, et propre à former de grands projets. Il se donne pour un homme universel, parce qu’il a une légère teinture de toutes les sciences ; il se croit capable de décider de tout. Il s’imagine être un profond jurisconsulte, un grand capitaine, et un politique des plus raffinés. Avec cela, il est si entêté de ses opinions qu’il les veut toujours suivre préférablement à celles des autres, de peur de paraître déférer aux lumières de quelqu’un. Entre nous, ce défaut peut avoir d’étranges suites, dont le ciel veuille préserver la monarchie ! J’ajoute à cela qu’il brille dans le conseil par une éloquence naturelle, et qu’il écrirait aussi bien qu’il parle, s’il n’affectait pas, pour donner plus de dignité à son style, de le rendre obscur et trop recherché. Il pense singulièrement ; et, comme je crois vous l’avoir déjà dit, il est capricieux et chimérique. Tel est le portrait de son esprit : faisons celui de son cœur ! Il est généreux et bon ami. On le dit vindicatif, mais quel Espagnol ne l’est pas ? De plus, on l’accuse d’ingratitude, pour avoir fait exiler le duc d’Uzède et le frère Louis Aliaga, auxquels il avait, dit-on, de grandes obligations ; c’est ce qu’il faut encore lui pardonner : l’envie d’être premier ministre dispense d’être reconnaissant.


Avec non moins de justesse et de précision, Lesage nous instruit des procédés employés par le ministre pour maintenir son pouvoir sur le jeune roi. Tantôt il nous le montre travaillant à éloigner de la Cour toute personne qui aurait quelque chance d’exercer une action sur l’esprit de son maître, et tantôt détachant celui-ci de ses frères et de sa femme, le contraignant à poursuivre sans arrêt une vie de plaisir, dont il se charge lui-même de varier l’attrait, indéfiniment. « Mon prédécesseur, le duc de Lerme, avoue-t-il à Gil Blas, avait deux ennemis redoutables dans son propre fils et dans le confesseur de