Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/537

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

interviews, interdisait la reproduction de son portrait dans les journaux illustrés, et ne consentait même pas à ce que celui que fit de lui Bonnat figurât de son vivant à une exposition. A Emile Planât, — le Marcelin de la Vie Parisienne, — qui lui soumettait un article sur lui-même, il écrivait : « Mais, mon cher Emile, est-ce que nous n’étions pas convenus que non ? Cela est tout physique de ma part, tu le sais bien. Tout ce qu’on voudra sur l’écrivain, l’être abstrait composé d’idées et de phrases, qui se donne au public. Rien, rien du tout sur le reste, sur l’homme… Je souhaite avant tout que le moi, la personne vivante avec son ton de voix, son geste, ses meubles, échappe au public ! Et ce n’est pas toi, mon meilleur ami, qui me donneras le désagrément de m’étaler devant lui. Tu sais bien que je n’ai pas même voulu laisser vendre ma photographie, ni faire ma charge. Ainsi rien, rien, encore une fois, tout à fait sérieusement ; rien ne me contrarierait davantage. » Un peu plus tard, il écrivait encore à M. Francis Charmes : « Vous avez raison de croire qu’en Angleterre je n’ai pas été exempt d’émotions. Mais il y a un grand principe de Gautier et de Stendhal que je crois vrai : ne pas faire étalage de ses sentimens sur le papier : de même un homme qui parle dans un salon ou en public évite ou réprime les sanglots et les cris quand ils lui viennent ; il est indécent de donner son cœur en spectacle ; il vaut mieux être accusé de n’en avoir pas. » Enfin, en ce qui concerne la publication de sa correspondance, le testament de Taine était plus explicite et plus rigoureux encore : « Les seules lettres ou correspondances qui pourront être publiées, y disait-il, sont celles qui traitent de matières purement générales et spéculatives, par exemple de philosophie, d’histoire, d’esthétique, d’art, de psychologie ; encore devra-t-on en retrancher tous les passages qui, de près ou de loin, touchent à la vie privée, et aucune d’elles ne pourra être publiée que sur une autorisation donnée par mes héritiers, et après les susdits retranchemens opérés par eux. » Le poète des Montreurs n’aurait pas mieux dit.

Dans ces conditions, la liberté des éditeurs de la Correspondance devenait singulièrement restreinte, et si, à certains égards, on peut le regretter, on s’explique qu’ils n’aient point publié toutes les lettres, même intéressantes, qu’ils avaient en leur possession, et qu’ils aient, dans celles qu’ils imprimaient, supprimé bien des passages qu’ils jugeaient trop intimes pour être mis sous