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à décrire que de beaux talens et des sentimens fins, » il se reprenait parfois, mais bien timidement, à l’espoir, en lisant, par exemple, les speeches de Macaulay : « Cela donne confiance en la raison humaine, — disait-il à Emile Boutmy, — en l’influence de cette raison sur les masses ; et vous savez si j’ai besoin d’y croire ! Toute l’époque que j’étudie me pousse dans le sens contraire, il me semble toujours que je vis dans une maison de fous. » Mais bientôt, il retombait à ses sombres pronostics. « Je suis d’une génération qui finit, — écrivait-il à M. E.-M. de Vogué, — remplacez-nous ; en fait de politique et d’affaires publiques, vous n’aurez pas de peine à mieux faire ou à moins mal faire. Ce finale du siècle en France est lamentable, et je ne parviens pas à m’y résigner… » Et à Gaston Paris : « Probablement j’ai eu tort, il y a vingt ans, d’entreprendre cette série de recherches ; elles assombrissent ma vieillesse, et je sens de plus en plus qu’au point de vue pratique, elles ne serviront à rien. » Et enfin à Emile Boutmy, dans l’avant-dernière lettre qu’on nous ait conservée de lui : « Je suis de votre avis sur M. N., ses croyances, sa vertu, son bonheur, etc. Il est possible que la vérité scientifique soit au fond malsaine pour l’animal humain tel qu’il est fait : de même tel organe singulier, anormal, une ouïe ou vue monstrueuse, excessive, non raccordée avec le reste, dans une baleine ou un éléphant. La seule conclusion que j’en tire, c’est que la vérité scientifique n’est supportable que pour quelques-uns ; il vaudrait mieux qu’on ne pût l’écrire qu’en latin. » Mais la vérité « pour quelques-uns, » la vérité « malsaine » est-elle bien la vérité ? Taine ne semble point s’être posé la question. Mais que nous sommes loin ici des longs espoirs, des vastes ambitions et des fières intransigeances des Philosophes classiques ou de l’article sur Jean Reynaud !


IV

On voit toutes les précisions nouvelles que nous apporte la Correspondance pour l’étude de la psychologie de Taine et pour l’histoire de sa pensée. Elle nous en apporte aussi, et de fort précieuses, pour l’histoire tout intérieure de son œuvre. Nos livres assurément sont ce qu’ils sont, une fois détachés de nous, et nous avons toujours mauvaise grâce à nous plaindre de voir méconnues les intentions qui nous les ont dictés et que nous