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sans autre raison que de faciliter les conversations ; celles-ci nous manifestent les âmes, et il arrive un moment où l’auteur estime qu’il nous les a suffisamment montrées : le roman est fini. Voici les dernières lignes de l’Égoïste :


Ainsi et sans s’en priver, le monde dont il avait à la fois la crainte et le culte inconscient s’en donna sur sir Willoughby Paterne et son changement de fiancées, jusqu’au jour où les préparatifs pour les fêtes du mariage vinrent lui rendre aux yeux du comté quelque chose du splendide éclat qu’avait connu la fête de sa majorité. En même temps, deux amans se rencontraient entre la Suisse et les Alpes tyroliennes sur le lac de Constance. Assise à côté d’eux comme une sœur, la Muse comique a cessé de sourire ; mais à un regard vers le reste de la troupe qu’elle vient de quitter, elle pince les lèvres.


Vous ne saisissez pas cette allusion de George Meredith à sa théorie favorite ? Qu’importe ? Et peut-être la comprendriez-vous, ainsi que l’énigmatique Prélude, si vous aviez lu l’Essai sur la Comédie. Ni l’obscurité, ni la monotonie, ni les longueurs ne préoccupent l’auteur qui va, vient, s’arrête, fait le tour de ses personnages et de ses idées, travaille devant vous, raisonne tout haut, médite et raille, sans jamais se demander si vous le suivez et si vous pouvez le suivre, tout entier au maniement délicat de ses outils et au mécanisme compliqué de sa pensée.

Car cette pensée mêle de la façon la plus imprévue et la plus déconcertante l’inspiration poétique et la puissance de l’entendement, l’imagination et l’intellect. Les métaphores se succèdent et se précipitent. Elles nous apparaîtront comme l’incohérence même, si nous voulons en épuiser la signification concrète : leur richesse nous devient le pire des embarras dès que nos sens la réalisent. Chacune d’elles n’est là que pour une seule analogie : laquelle ? Il faut la saisir et passer. Notre activité mentale est entretenue ainsi dans une excitation qui lui donne ensemble la joie et la fatigue d’un exercice violent. Sans cesse, d’ailleurs, nous devons sauter d’un point à un autre. Entre deux termes successifs de sa pensée, M. George Meredith supprime comme oiseux tout intermédiaire ; l’esprit n’a pas où se poser : s’il tombe, c’est dans le vide. A lui de calculer son élan. S’il lui faut des chemins unis pour y traîner ses rêveries nonchalantes, qu’il ne s’aventure pas sur les pierres aiguës de ce torrent ! Elles suffiront au voyageur plus hardi et plus agile pour avancer parmi le bouillonnement des eaux vives.