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caractères : Merthyr Powys, Vernon Whitford, Redworth. Il est impossible de ne pas les rapprocher de ceux qui ont toutes les sympathies de M. Thomas Hardy : Gabriel Oak, Winterborn, Diggory Venn. Éprouvés dans l’amitié, fidèles dans l’amour, calmes devant la vie, ils représentent l’Anglais robuste et sain, énergique de corps et d’âme, the typical Saxon, comme Diana appelle l’un d’eux. M. Thomas Hardy les a pris parmi l’humble population des campagnes, M. Meredith dans les hautes classes de la société. Ceux-là sont frustes, ceux-ci plus raffinés ; mais le fond est le même et la délicatesse des sentimens n’est pas moindre chez les premiers que chez les seconds. C’est que les uns et les autres sont assez courageux pour faire face à la vie et l’envisager autrement que dans sa relation avec leurs désirs, leurs plaisirs et leurs caprices. Ils la voient dans sa vérité ; ils la comprennent et ils l’acceptent. Ils ne sont ni des égoïstes, ni des passionnés. Le désintéressement les mène à l’amour, au véritable amour, qui se renonce et s’oublie, donne tout, n’exige rien, et finit par triompher. Vernon épouse Clara, Redworth épouse Diana, et nous pressentons, nous espérons que Sandra sera un jour la femme de Merthyr Powys.


III

Toute la « philosophie » de la vie qu’on peut dégager des romans de M. Meredith n’est en somme que cette apologie bien anglaise du caractère, étendue et approfondie. Les héros comme Merthyr, Redworth et Vernon sont ceux qui correspondent le mieux à la réalité de la vie, et c’est pourquoi finalement ils triomphent dans la grande épreuve, ordeal, où Richard Feverel a succombé.

C’est toujours un exercice artificiel et un peu risqué de rechercher et d’exposer la philosophie d’un écrivain, d’un artiste. Un philosophe a un système, c’est-à-dire un point de vue sur les choses, une manière de se les représenter, et de nous les expliquer. Il traduit en quelque sorte le monde, pour sa propre pensée et pour la nôtre, en langage intelligible, et cette traduction n’en peut donner que le sens général, le dessin abstrait, sans relief, sans couleur et sans vie. L’art se tient nécessairement plus près de la réalité concrète ; il lui emprunte tous ses moyens d’expression ; il en est non plus la traduction, mais l’image. Cela