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jamais l’art n’a dépassé ni peut-être atteint, pour une inspiration si forte et si pure, une telle magnificence d’expression. C’est d’une beauté achevée et incomparable. Le romancier qui a écrit ces deux chapitres, — ce poème du premier amour, — est digne du premier rang dans tous les pays…

Mais avant d’arriver à comprendre l’amour, à comprendre la vie, il faut passer par bien des épreuves. Si leur terme n’est pas toujours tragique, comme dans Richard Feverel, elles entraînent toujours des souffrances et exigent des efforts qui sont le prix douloureux de la virilité spirituelle. M. Meredith n’idéalise pas la jeunesse : il la voit telle qu’elle est, charmante par la fraîcheur et la vivacité des sentimens, par l’élan des aspirations et la force des désirs, mais ignorante, inexpérimentée, indécise, portée à exiger trop de la vie et trop peu d’elle-même. Ces défauts sont inévitables : non plus que d’autres plus graves, ils n’importent pas. Qu’est-ce donc qui importe ? « On peut aussi être un vaillant garçon, et dur, exigeant, hypocrite, et je ne sais quoi encore dans la jeunesse. La question posée par la nature est celle-ci : — A-t-il le cœur de recevoir et de garder une impression ? — car, s’il l’a, les circonstances le forceront d’avancer et dégageront la figure d’un brave homme de la masse des contradictions. En retour de tels bienfaits, il paie ordinairement de tout ce qu’il estimait de plus précieux dans cette vie terrestre. Sur quoi, bien qu’elles aient fait de lui un homme, il récrimine contre la nature et les circonstances, sans prendre garde que la création de l’homme en lui est leur seul devoir[1]. »

Les « circonstances » sont presque toujours les mêmes dans les romans de M. Meredith. S’il met ses personnages aux prises avec les grands problèmes : — le radicalisme anglais dans Beauchamp’s Career, le socialisme dans The Tragic Comedians, l’esprit révolutionnaire dans Vittoria, l’indépendance sociale de la femme dans Diana of the Crossways, — il nous les montre toujours et partout engagés dans cette bataille des sexes dont la sagesse et le bonheur sont l’enjeu. L’homme, en effet, ne se manifeste jamais mieux que dans ses opinions et sa conduite à l’égard des femmes. Voyez Willoughby : son égoïsme ne s’épanouit tout entier, ne déroule tous ses replis et ne révèle tous ses secrets qu’à l’épreuve de l’amour. L’amour est la grande

  1. Sandra Belloni, ch. XIII.