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peut-être ? Je ne me charge pas d’élucider la question. Il est probable cependant que, là comme à Pondichéry, les Jésuites furent obligés par les légats »le détruire les temples des « faux dieux. » L’intolérance des Jésuites est une de ces fables contre laquelle on ne saurait aujourd’hui s’inscrire utilement en faux. Je me contenterai de remarquer que les accusations portées contre eux tombent historiquement quand on prend la peine de remonter jusqu’aux sources. Les Brahmes ignorent tout de l’histoire, et presque tout de leur religion. Celui que je fais interroger prend à mes fouilles un intérêt, à ce point vif, que je me sens pris pour lui d’une sympathie véritable. Erreur ! Il ne tarde pas à me détromper. Cet homme grand, fort, rasé de frais, blanchi de neuf, gras malgré la rigueur des temps, respirant l’aisance, l’honorabilité, la distinction, exhalant le parfum de toutes les vertus, ce brahme portant sur son front la peinture sacrée, symbole des sources de la vie, ce brahme attentif et réservé méditait un simple emprunt.

« Il serait honoré, me dit le Père, que vous lui prêtiez un quart de roupie. » — Trop heureux d’en être quitte pour quarante centimes, — deux journées d’ouvrier, — je remets à ce brahme la petite pièce d’argent, et il nous veut accompagner jusqu’à la Mission. Mais l’apparition subite d’un serpent le mit malheureusement en fuite.

Et quel serpent ! De ma vie de voyageur il ne me souvient d’avoir jamais vu le pareil. Noir, luisant, il glissait entre deux haies de nopals, telle une coulée d’encre. Sa partie antérieure, cambrée, paraissait marcher en attitude verticale, et son cou recourbé dardait, au-dessus de sa raquette épanouie, sa tête plate et audacieuse, à un mètre au-dessus du sol. Ainsi la bête sombre et formidable rampait de l’arrière-train, se balançait de l’avant, dominant les cactus épineux où elle entrait, tandis qu’à deux mètres derrière elle, ondulait sa queue dont la trace demeurait sur le sable. Serrant ma simple canne, je m’élançai pour casser les reins de la bête. Un pareil échantillon n’est pas de ceux que l’on doive laisser échapper. Mais une main vigoureuse me retint par ma veste de toile, et la voix du Père Authemard s’éleva non moins fortement :

« Au nom du ciel, restez ici !… C’est un grand cobra, le plus venimeux des serpens de l’Inde ! »

Et moi toujours tirant : « Oui, oui, Père Authemard ! Un