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II

Les saints ne furent donc jamais plus près de l’homme qu’à la fin du moyen âge. Rien ne le prouve mieux que l’étude des œuvres d’art.

C’est une chose surprenante de voir combien l’aspect des saints se modifie vers le commencement du XVe siècle. Au XIIIe siècle, de longues tuniques, des draperies simples et nobles, les revêtent de majesté et d’une sorte de caractère d’éternité. Ils planent au-dessus des générations qui se renouvellent à leurs pieds. Pendant longtemps, les artistes demeurèrent fidèles à ces grandes traditions. Dans le bréviaire de Charles V, sainte Catherine, sainte Ursule, sainte Hélène ont encore cette longue robe sévère qui semble n’être d’aucun temps. Saint Martin a une de ces tuniques sans âge que les hommes semblent avoir portées depuis le commencement du monde[1]. Jusqu’au XVe siècle les saints gardent cet aspect héroïque. Dans un beau livre d’Heures de la bibliothèque Mazarine (des environs de 1400), sainte Catherine et sainte Marguerite sont vêtues aussi simplement que des Vertus ou des Béatitudes du XIIIe siècle[2].

Tout change au XVe siècle. Il semble que les saints, qui longtemps dominèrent l’humanité, se rapprochent d’elle avec bienveillance. A peine les distingue-t-on des autres hommes. Les voici qui adoptent les modes du règne de Charles VII, de Louis XI, de Louis XII. Le saint Martin de Fouquet est un jeune chevalier qui vient de faire campagne contre les Anglais et qui a aidé son roi à reconquérir la France[3]. Mais le merveilleux saint Adrien du vitrail de Conches, ce jeune soldat aux cheveux blonds, est un héros de nos guerres d’Italie. C’est de Milan peut-être qu’il a rapporté ce bijou d’or qui orne son bonnet.

Saint Cosme et saint Damien sont, dans les Heures d’Anne de Bretagne, deux médecins de la Faculté de Paris. Sur des cheveux grisonnans une petite calotte, ou un chaperon ; une bonne houppelande fourrée pour les courses d’hiver. Nulle recherche de toilette. Ce sont deux grands travailleurs déjà marqués par

  1. Latin 1 052, f° 412 v, 540, 543 v°
  2. Mazarine, 491, f° 291 v° ; on voit cependant déjà saint Georges avec un costume de chevalier.
  3. Dans les Heures d’Estienne Chevalier, à Chantilly.