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porte au cou le collier de l’ordre de Saint-Michel, on ne s’étonne plus. Être créé chevalier de Saint-Michel, ce n’était donc pas seulement recevoir une dignité flatteuse pour l’amour-propre, c’était gagner un nouveau protecteur, tout-puissant dans le ciel.

Mais il est une catégorie d’exceptions dont la fréquence revêt presque le caractère d’une règle. On rencontre souvent en effet auprès des hommes d’Eglise, au lieu du saint dont ils portent le nom, l’austère figure de saint Jérôme. A Davenescourt, dans la Somme, le chapelain Antoine Huot est présenté à Jésus crucifié par saint Jérôme[1]. C’est saint Jérôme qu’on voit, à Albi, debout derrière le cardinal Jean Joffroi[2]. C’est encore saint Jérôme qui accompagne le prieur Jean de Broil au vitrail de l’église de Tressan, dans la Sarthe. Ces exemples, qu’il serait facile de multiplier, peuvent suffire. Il est évident que les clercs jugeaient que leur vrai patron, suivant l’esprit, était saint Jérôme.

C’est à la fin du XVe siècle, au temps où l’imprimerie multiplie les Lettres et les Traités du grand docteur, que les clercs semblent avoir entrevu pour la première fois la vraie physionomie de saint Jérôme. Cette âme orageuse, que le moyen âge avait peu comprise, se laissa deviner. On admira le combat que ce terrible athlète avait soutenu contre lui-même. Perdu dans le désert, écrasé de jeûnes et de travaux, « noir comme un Ethiopien, » il parvenait à peine à vaincre la nature. Homme véritable, qui lutta tant qu’il vécut, et qui, toujours, entendit gronder sa passion, pareille à ce lion que les artistes peignent à ses pieds. Un tel saint devait séduire les clercs : savant comme eux, humaniste raffiné, exégète, théologien, et, comme eux, toujours ému par des voix qu’il avait fait vœu de ne plus entendre. Les œuvres d’art consacrées à saint Jérôme sont très fréquentes au XVIe siècle. La plupart, j’en suis convaincu, ont été demandées aux artistes par des prêtres.

Saint Jérôme fut le patron d’élection de toute une classe d’hommes. D’autres fois, un saint nous apparaît comme le patron de toute une race. Il y a en Touraine, à Champigny-sur-Veude[3], un monument extraordinaire. C’est une chapelle qui semble avoir été élevée à la gloire des Bourbons. Elle est décorée de beaux

  1. C’est un petit bas-relief funéraire.
  2. Cathédrale d’Albi, peintures de la chapelle de la Sainte-Croix (fin du XVe siècle).
  3. Indre-et-Loire.