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de Jésus. Au-dessous, les douze confrères, après avoir communié de la main d’un prêtre, comme les douze apôtres communièrent de la main de Jésus-Christ, marchent derrière le dais avec le costume et les attributs consacrés[1].

On ne peut guère douter qu’un confrère jouant le rôle d’un saint n’ait parfois servi de modèle aux artistes. On se rappelle qu’à Châlons, les déchargeurs de bateaux, le jour de la fête du métier, faisaient représenter saint Christophe par un des leurs. Or, on voit justement, à Châlons, dans l’église Saint-Loup, une extraordinaire statue de saint Christophe. Le saint est un magnifique portefaix qui a pris son costume des grands jours : le pourpoint du XVIe siècle décolleté sur la chemise et le haut-de-chausses à étages. Plus rien de traditionnel dans cette figure. C’est l’image naïve d’un ouvrier endimanché. Je ne sais si cette statue de saint Christophe est celle des déchargeurs de bateaux, mais c’est bien ainsi qu’on l’imagine.

Si l’on veut bien songer encore au saint Joseph des charpentiers de Verneuil, à ce jeune compagnon que nous avons décrit plus haut, on acquerra la certitude que les artistes copiaient ce qu’ils voyaient. Et d’ailleurs, il est probable que les confrères eux-mêmes désiraient avoir un saint tout pareil à celui qui marchait en tête de leur procession. Ils imposaient sans doute leurs conditions à l’artiste.

Les confréries ne se contentaient pas de figurer les saints dans les processions, elles représentaient encore des tableaux vivans. A la cathédrale de Rouen, « les confrères du jardin, » comme on les appelait, jouaient, le 15 août, l’Assomption de la Vierge. Ils transformaient leur chapelle en un jardin, et, vêtus en apôtres, ils figuraient les funérailles et la miraculeuse résurrection de la Mère de Dieu. Leur « jeu » attirait à la cathédrale un tel concours de curieux, que le chapitre s’émut. Les confrères furent invités à renoncer à leurs vieilles traditions. On leur fit entendre qu’il serait beaucoup plus décent d’employer leur argent à faire faire un vitrail qui ornerait leur chapelle. Ce vitrail, en effet, fut mis en place en 1523. Il a malheureusement disparu. C’est une perte très regrettable, car tout nous laisse supposer qu’il nous aurait montré

  1. On lit dans un compartiment du vitrail ces mauvais vers : « Douze confrères gens de bien — en douze apôtres revêtus — sont accoustrés par bon moyen — pour décorer le doux Jésus. »