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son fiancé, mais ce fiancé perdait ses droits à la couronne, et se trouvait relégué à une place subalterne. Et de même, lorsque, le jeune Constantin étant mort vers 1094, la princesse fut en 1097 mariée à Nicéphore Bryenne, le gendre du basileus, malgré le titre de César qu’on lui accorda, prit rang au-dessous de l’héritier présomptif et sa femme avec lui.

Ainsi cette naissance d’un frère fut pour Anne Comnène la grande infortune de sa vie. C’est parce qu’elle avait rêvé de s’asseoir avec lui sur le trône, qu’elle conserva si tendrement le souvenir du jeune Constantin Doukas. C’est parce qu’il était venu brusquement ruiner ses ambitions qu’elle voua une haine féroce « au petit garçon noiraud, au large front, aux joues sèches » qu’était ce frère abhorré. C’est parce qu’elle espéra, par lui et avec lui, reconquérir le trône, qu’elle aima tant Nicéphore Bryenne ; c’est enfin parce qu’elle croyait, de par son droit d’aînesse, avoir qualité pour régner que, durant toute la vie d’Alexis, elle intrigua, se remua, poussa de toute son influence Nicéphore son mari, afin de ressaisir ce pouvoir dont elle se jugeait illégitimement exclue. Ce fut le constant objet de son ambition et la raison d’être de tous ses actes. Ce rêve unique et tenace remplit toute son existence, — et l’explique, — jusqu’au jour où, ayant définitivement manqué son but, elle comprit du même coup qu’elle avait manqué sa vie.

Dans cette lutte pour la couronne, engagée entre Anne et son frère, toute la famille impériale prit parti. Andronic, l’un des fils du basileus, tenait pour sa sœur, l’autre, Isaac, pour son frère. Quant à la mère, Irène, elle détestait étrangement son fils Jean. Elle le jugeait léger, de mœurs corrompues, d’esprit mal équilibré : en quoi d’ailleurs elle lui faisait tort. Elle avait au contraire une vive admiration pour la haute intelligence de sa fille ; elle lui demandait conseil en toute circonstance et recevait ses avis comme des oracles. De plus, — chose rare, — elle adorait son gendre. Elle le trouvait éloquent, instruit, doué de toutes les qualités qui font l’homme d’État et le souverain. Pour évincer l’héritier légitime, les deux femmes lièrent donc résolument partie : et comme Irène exerçait maintenant, sur l’empereur vieilli et déjà malade, une grande influence, elles purent espérer que leur plan réussirait. Bientôt, grâce à ces intrigues, Bryenne fut tout-puissant au palais : le bruit courait partout que rien ne se faisait que par lui. Les courtisans avisés