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une armée métropolitaine réduite au service de deux ans ? La situation politique de l’Europe, même à la regarder sous les couleurs optimistes dont M. Delcassé l’a peinte, nous permet-elle de nous y consacrer sans souci des diversions qui pourraient se produire sur d’autres points du monde ? M. Ribot s’est posé quelques-unes de ces questions : il y a répondu que nous ne pouvions à coup sûr, ni ne devions nous dégager du Maroc par le procédé sommaire qu’avait recommandé M. Jaurès, mais que nous commettrions, en nous y engageant davantage, une faute d’autant plus inexcusable que nous savions maintenant ce qu’est le pays et que nous sommes mieux éclairés sur les difficultés et les dangers qu’il présente. Le talent avec lequel M. Ribot a développé ces considérations, la gravité de ses conseils, la portée de ses avertissemens ont vivement frappé son auditoire ; la grande majorité de la Chambre l’a applaudi, et ces applaudissemens ont gagné jusqu’au banc des ministres. M. le président du Conseil et M. le ministre des Affaires étrangères s’y sont associés, ce qui permet de croire qu’ils ont reconnu dans le langage que M. Ribot tenait avec une pleine indépendance celui qui convient au gouvernement.

M. Ribot a recommandé une fois de plus la neutralité entre le Sultan et son frère, car nous ignorons celui des deux qui l’emportera et que, finalement, l’Europe reconnaîtra. Quelle serait notre situation si nous nous étions faits alors les protecteurs de l’autre ? En ce moment, il n’y a pour nous qu’un sultan officiel, ou légitime, comme disent certains journaux avec une componction amusante, et c’est Abd-el-Aziz. Nous souhaitons son triomphe, mais nous devons garder notre liberté pour l’avenir, et, pour cela, ne pas nous engager dans le présent. Jusqu’ici, nous ne sommes pas très sûrs de n’avoir rendu que de bons services au malheureux souverain. En le faisant venir à Rabat et en l’y accueillant avec des démonstrations excessives, ne l’avons-nous pas mis en mauvaise posture vis-à-vis de ses sujets ? N’avons-nous pas été pour quelque chose dans le mouvement qui a abouti à la proclamation de son frère ? N’aurait-il pas mieux valu, puisque nous voulions le fortifier, traiter avec lui à distance, en lui montrant de la considération, en lui laissant prendre même sur nous quelques avantages apparens, en lui consentant des concessions dont il aurait pu se faire honneur ? Au lieu de cela, nous l’avons compromis, et quel appui efficace lui avons-nous donné en retour ? Nous ne voulons pas insister, ce serait pénible ; mais on jugera sans doute qu’il est temps de s’arrêter dans une voie que nous ne voulons pas parcourir jusqu’au bout. Ah ! si nous étions résolus à aller