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chef l’amènent à se résigner aux siennes propres ; le néant de ce héros d’occasion le fait se replier vers les solides réalités de sa Lorraine ; enfin il apprend que les causes héroïques ne sont pas à la merci du mortel qui par instant les représente et semble les absorber en sa personne. « Boulanger n’est qu’un incident, nous retrouverons d’autres boulangismes. »

Avec cette dévotion instinctive pour les héros, le sentiment de la discipline qui pénètre, soutient, et anoblit les trois romans de l’énergie nationale, s’établit d’une façon définitive dans l’œuvre de M. Barrès. Ses nombreux voyages ne le distrairont pas de cette docilité généreuse par où il s’achemine inconsciemment vers la philosophie de l’acceptation. D’ailleurs, on n’est pas moins vagabond que M. Barrès, on n’est pas plus réfractaire que lui au caprice, plus patient, plus volontaire et plus méthodique. J’aurais dû le répéter à chacune de ces pages, mais il semblait plus piquant de réserver cette constatation pour le chapitre des voyages.


Pour un véritable homme, — écrit-il lui-même dans un de ses livres les plus romantiques, Amori et Dolori sacrum, — la discipline, c’est toujours de se priver et de maintenir fortement sa pensée sur un objet. Rien de pire que des divertissemens et des excitations de hasard, quand il faut veiller que toutes nos nourritures profitent au dessein déjà formé.


Se priver, éliminer, n’est-ce pas déjà, au prix de cette méthode appliquée rigoureusement, que Du sang, de la volupté et de la mort est devenu comme le Baedeker du romantisme ? Côme, Pallanza, un ou deux tableaux à Milan, Venise, Ravenne, notre touriste systématique et passionné va droit à ce qui peut l’exciter à « sentir le plus possible, » brûlant les haltes classiques du voyage, le lac de Garde, les églises lombardes et la parfaite Vérone. C’est ainsi encore que l’Amateur d’âmes a fixé l’itinéraire d’Espagne avec une dialectique aussi impérieuse que perverse. Enfin, rien n’est laissé au hasard dans le Voyage de Sparte, véritable merveille d’élimination et de résistance inflexible aux tentations du chemin.

Méthodique dans le plan général de ses voyages, M. Barrès sait aussi ne pas se disperser dans la contemplation des objets qu’il a choisis.