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aberration, aussi illogique que celle qui prétend que le non-être a pu créer un droit : ces créanciers du fantôme de congrégation veulent être remboursés sur des biens qui n’appartiennent et n’ont jamais appartenu ni à la congrégation, ni aux personnes interposées. La loi de 1901 est formelle en ce sens : la congrégation, non seulement au jour de sa mise en vigueur, mais jusque dans le passée est réputée n’avoir jamais été propriétaire, et, de même qu’elle, ses prête-noms, le congréganiste, la Société composée en tout ou en partie de congréganistes. Pareil au fantôme de congrégation, il y avait un fantôme juridique de patrimoine. En droit, les biens qu’on voyait en la possession apparente de la congrégation ou de ses prête-noms, n’étaient pas unis par ce lien de propriété qui fait que tous les biens d’un individu, d’une Société, constituent son patrimoine, offert et soumis comme tel à la garantie de ses créanciers. Ces biens restaient épars d’abord, et en outre, n’appartenant ni à la congrégation ni à ses prête-noms, ils ne pouvaient être recherchés par les prétendus créanciers qui avaient eu l’imprudence et, le plus souvent, la mauvaise foi de traiter avec le non-être : ils étaient, au regard du non-être, bien d’autrui ; suivre le système de la jurisprudence, de l’équité, de M. Trouillot, c’était en réalité payer les dettes nulles du néant juridique de la congrégation avec des biens d’autrui.

Ce système vaut, ce semble, d’être connu, ne fût-ce que pour montrer quel terrible instrument la logique, et spécialement la logique juridique, peut devenir au service d’esprits qui se ferment aux « étroites considérations d’équité. » Toutefois, à ce terme d’un raisonnement où ils pensaient avoir établi la vérité du droit pur, ces mêmes esprits ont un peu dévié vers la réalité. La réalité, c’est qu’après tout les créanciers du non-être ont donné une valeur, que quelqu’un en a profité et s’est enrichi à leurs dépens. Or une très vieille maxime proclame que « nul ne peut s’enrichir aux dépens d’autrui. » Celui qui a procuré l’enrichissement a une action pour se faire rembourser à concurrence de ce bénéfice. Cette action qui nous vient des Romains porte encore aujourd’hui le nom qu’ils lui ont donné : De in rem verso. Les liquidateurs la concèdent aux créanciers de la congrégation. Il n’était guère possible de la refuser, et ils y trouvent, pour le but qu’ils poursuivent, des avantages essentiels. Tout d’abord, le créancier qui veut réussir n’a pas seulement à