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s’entassaient des familles entières, avec leurs bagages. Toutes les auberges étaient encombrées. Les accidens étaient nombreux : roues cassées, voitures versées, caisses et malles dans la boue, malheureux se lamentant et cherchant à se mettre à l’abri… Des cavaliers portaient des femmes en croupe ; et ce tableau de l’émigration n’était pas encourageant pour celui qui venait de franchir la frontière. »

Le premier séjour de M. de Préneuf à Maestricht, du 9 novembre 1792 au 9 juin 1793, acheva de faire sentir à l’émigré la cruauté tragique de sa situation. Non seulement il y eut à souffrir de la faim, et de mille privations et incommodités matérielles, mais force lui fut de partager l’inquiétude affolée de ses compagnons d’exil, qui, d’un jour à l’autre, s’attendaient à se voir surpris par les troupes républicaines. On peut imaginer les proportions que dut atteindre cette inquiétude lorsque, dans les premiers jours de mars 1793, l’armée de Luckner investit la ville ; et quand ensuite le siège prit heureusement fin, à ces angoisses succédèrent celles d’une violente épidémie de typhus, apportée là par des prisonniers français, et qui fit périr, en moins d’un mois, des milliers de personnes. L’abbé de Préneuf lui-même fut atteint du terrible mal : mais il réussit heureusement à s’en remettre bientôt, et le beau zèle chrétien qu’il avait montré pendant toute la durée du siège lui valut, aux longues semaines de la convalescence, mille précieux témoignages de sympathie et de sollicitude, aussi bien de la part des habitans de Maestricht, catholiques et protestans, que de celle des nombreux prélats français séjournant dans la ville. Au mois de mai 1793, l’abbé, décidément rétabli, put enfin espérer qu’une vie plus calme allait s’ouvrir pour lui. Hélas ! dès le mois suivant, la menace d’un nouvel investissement le contraignit à quitter une retraite où chacun, maintenant, s’empressait à l’accueillir affectueusement.

Mais avant de l’accompagner 5. Bruxelles, qui allait être l’étape suivante de son vagabondage forcé à travers l’Europe, nous ne pouvons négliger de citer encore deux passages curieux de la première partie de ses Souvenirs. Voici, d’abord, un petit tableau de la vie des nobles et des prêtres à Paris, pendant les derniers mois que l’abbé y avait passés :

« À cette époque, la peur avait éteint tout sentiment généreux. La terreur avait oblitéré les consciences. J’ai vu de près combien il était difficile de se soustraire à cette peur irréfléchie