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caractéristique, à la fois, de la parfaite véracité du prêtre émigré et de la fidélité de ses souvenirs. Nous allons, tout d’abord, reproduire son récit : il nous transporte, de nouveau, à Augsbourg, où l’abbé, pendant son séjour à Donaustauf, au mois de décembre 1800, s’était offert à accompagner un vieux prêtre, malade, et incapable de voyager seul.


Comme je me rendais, un matin de très bonne heure, à l’église, pour dire ma messe, je fus abordé par un militaire français, qui tenait son cheval par la bride, et qui me demanda, très poliment, si je parlais sa langue. Sur ma réponse que j’étais son compatriote, il me pria de lui dire si je connaissais, à Augsbourg, où il devait se trouver, un prêtre, dont il me cita le nom. Ce prêtre était de son pays et il désirait le voir. Le nom ne m’était pas inconnu : mais je lui fis observer que, étant fort pressé, je ne pouvais lui répondre comme je l’aurais désiré.

Il me répliqua qu’il m’attendrait bien, et que, à ma sortie, il me demandait la permission de venir me retrouver. Ce militaire avait un air si respectueux que j’en fus touché ; et, aussitôt ma messe dite, je sortis à son devant. Il m’attendait, en effet, auprès de l’église, et nous liâmes conversation. Il était originaire d’une province de l’Ouest de la France (je crois qu’il était Poitevin), et il avait été pieusement élevé par un chanoine qui lui avait appris la musique et le chant. Il lui était resté, de cette éducation, un fond de religion, ou au moins de respect pour ses ministres, qui m’avait tout aussitôt frappé. Je m’intéressai à lui, et je lui proposai de le conduire dans la pension où les prêtres français prenaient leurs repas ; il avait là plus de chances que partout ailleurs de retrouver celui qu’il cherchait. Chemin faisant, il me dit qu’il se rappelait avec plaisir ses jeunes années ; qu’il n’avait jamais oublié les soins et l’éducation que lui avait donnés le bon chanoine, et qu’il était bien aise de pouvoir rencontrer un prêtre de son pays, pour lui prouver sa reconnaissance.

Malheureusement, l’abbé qu’il cherchait avait, depuis quelque temps, quitté Augsbourg ; et ce brave garçon s’en montra fort peiné. Pour se dédommager, il voulut, avec une telle insistance, nous offrir à déjeuner, à moi et à deux ou trois de mes confrères qui l’avaient renseigné, que nous fûmes forcés d’accepter, pour ne pas le désobliger. La pension, heureusement, n’était pas chère.

A table, il nous découvrit d’excellens sentimens, et nous parut si franchement honnête que j’ai toujours gardé, de cette rencontre, un souvenir consolant. Nous fûmes pénétrés de reconnaissance pour l’acte affectueux et cordial de ce brave soldat qui, en nous quittant, nous assura que, s’il avait été le maître, nous n’aurions pas été persécutés et contraints d’émigrer. Il espérait nous revoir, bientôt, dans nos églises.


Or, il se trouve, par une coïncidence piquante, que ce « brave soldat » a écrit, lui aussi, ses Souvenirs, et qu’il y a raconté, lui aussi, sa rencontre à Augsbourg avec l’abbé de