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REVUES ÉTRANGÈRES

LA NOUVELLE TRAGÉDIE DE M. D’ANNUNZIO


La Nave, par G. d’Annunzio, 1 vol. in-8, Milan, 1908.


Les milliers de Romains qui, depuis le 11 janvier passé, dans la grande salle de l’Argentina, ont assisté aux premières représentations de la Nef de M. d’Annunzio ont dû retrouver là, j’imagine, quelques-unes des plus fortes et savoureuses impressions ressenties par leurs glorieux ancêtres d’il y a dix-sept siècles. Il est vrai que ceux-ci, dans leurs Colisées, lorsqu’ils voyaient des victimes humaines mises en présence de tigres ou de lions affamés, n’avaient pas besoin des artifices de l’illusion théâtrale pour croire à la réalité de ce qu’on leur montrait : c’était un sang parfaitement authentique qui, pour les divertir, jaillissait des membres déchirés et des gorges ouvertes. Mais du moins M. d’Annunzio, faute de pouvoir offrir à ses contemporains le même degré de réalité, s’est ingénié merveilleusement à renouveler, varier, et renforcer l’horreur voluptueuse des scènes qu’il leur a présentées ; et peu s’en faut que sa dernière tragédie, d’un bout à l’autre de son « prologue » et de ses trois « épisodes, » n’apparaisse d’abord que comme un a spectacle coupé » de cirque ou d’arènes, une longue suite de « numéros » à la fois les plus sensuels et les plus effrayans qu’il soit possible de rêver.

Voici, par exemple, au prologue, cinq aveugles, le vieil Orso Faledra et ses quatre fils, qui étalent complaisamment devant nous les trous, encore sanguinolens, de leurs orbites, avec une description