Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 3.djvu/19

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TIMON. — Pourquoi les appelles-tu fripons ; tu ne les connais pas.

APÉMANTUS. — Ne sont-ils pas Athéniens ?

TIMON. — Oui.

APÉMANTUS. — Alors, je ne me dédis pas.

LE JOAILLIER. — Tu me connais, Apémantus.

APÉMANTUS. — Tu sais bien que je te connais ; je viens de t’appeler par ton nom.

TIMON. — Tu es bien fier, Apémantus.

APÉMANTUS. — Fier surtout de ne pas ressembler à Timon.

TIMON. — Où vas-tu ?

APÉMANTUS. — Casser la tête à un honnête Athénien.

TIMON. — C’est une action qui te mènera à la mort.

APÉMANTUS. — Oui, si ne rien faire est un crime digne de mort.

TIMON. — Comment trouves-tu ce portrait, Apémantus ?

APÉMANTUS. — Très-bon ; car il est innocent.

TIMON. — Celui qui l’a fait n’a-t-il pas bien travaillé ?

APÉMANTUS. — Celui qui a fait le peintre a mieux travaillé encore, et cependant il a fait un pitoyable ouvrage.

LE PEINTRE. — Tu es un chien.

APÉMANTUS. — Ta mère est de mon espèce ; qu’est-elle donc, si je suis un chien ?

TIMON. — Apémantus, veux-tu dîner avec moi ?

APÉMANTUS. — Non, je ne mange pas les grands seigneurs.

TIMON. — Si tu les mangeais, tu fâcherais les dames.

APÉMANTUS. — Oh elles mangent les grands seigneurs, voilà ce qui leur donne de gros ventres.

TIMON. — C’est une explication bien libertine.

APÉMANTUS. — C’est ainsi que tu la prends ; garde-la pour ta peine.

TIMON. — Aimes-tu ce bijou, Apémantus ?

APÉMANTUS. — Pas autant que la franchise, qui ne coûte pas une obole[1].

  1. Allusion au proverbe anglais, plain dealing is a jewel but they that use it die beggars : « la franchise est un joyau, mais ceux qui en usent meurent de faim. »