Un hiver à Saint-Petersbourg

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UN HIVER À SAINT-PÉTERSBOURG,

PAR M. BLANCHARD.
1856-1857. TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




Arrivée à Saint-Pétersbourg. — Premier aspect de cette capitale. — Préparatifs pour l’hiver. — Les poêles. — La neige. — Les glaçons. — Leur débit et leur transport.

Pendant l’été de 1856, j’entrepris le voyage de Saint-Pétersbourg où je n’avais l’intention de passer que peu de temps. L’accueil bienveillant que je rencontrai près de quelques personnes à qui j’adresse ici l’expression de ma reconnaissance, me fit modifier ma résolution première, et ce ne fut plus par semaines que je comptai mon séjour en Russie, mais bien par années.

J’arrivais par la mer d’Allemagne et la Baltique ; le navire qui me portait étant construit de manière à naviguer sur les bas-fonds qui se trouvent à l’embouchure de la Néva, put doubler Kronstadt, et venir s’amarrer sur le quai animé de Vassili-Ostroff.

À peine débarqué je m’élançai sur un drojky ; on a si souvent parlé de ce genre de véhicules que la description en serait superflue. De nombreuses voitures sillonnaient le pont Nicolas que je devais traverser pour me rendre dans l’intérieur de la ville ; de là je dominais le fleuve ; aussi loin que la vue pouvait s’étendre, je voyais sur les deux rives une quintuple rangée de longs bateaux remplis de bois à brûler ; en pénétrant dans la ville, je remarquai que l’eau des canaux disparaissait également sous une semblable charge. De longues files de telegas chargées de ce combustible se dirigeaient à pas lents dans les différents quartiers de la capitale : on était au commencement de l’été, tout se préparait déjà pour l’hiver.

C’est que l’hiver est la préoccupation constante dans le nord de la Russie ; mais aussi quel bon parti les Russes ont su tirer de leur rigoureux climat ! Ce temps, qui dans d’autres pays est synonyme de souffrance, signifie, au contraire, bien-être et facilité pour tout, abondance pour tous. C’est le moment des joyeuses réunions, de la vie en plein air ; si les travaux de la campagne sont suspendus, le paysan trouve dans les villes un salaire assuré. Dans un pays de plaines comme la Russie, quelle grande route, si bien entretenue soit-elle, peut valoir ce beau tapis de neige où les chevaux peuvent traîner sans peine les plus lourds fardeaux. Pendant l’été la navigation fluviale approvisionne les différents centres de population de marchandises encombrantes, de grains, de fer, de briques, de bois de chauffage et de construction. Pendant l’hiver les provisions de bouche abondent sur les marchés : les bords de la mer Blanche, les rives du Volga envoient à Moscou et à Saint-Pétersbourg leur contingent, les poissons de l’Océan et le sterlet des grands fleuves, le gibier d’Arkhangel et les fourrures de la Sibérie. Il est telle gelinotte, tel coq de bruyère qui a parcouru huit cents verstes depuis qu’ils sont tombés sous le plomb du chasseur : si la glace tue, parfois elle conserve.

Ce qui frappe tout d’abord dans Saint-Pétersbourg, c’est la grandeur des maisons, la largeur des rues. C’est bien une ville sortie d’un seul jet d’un cerveau puissant ; comme Minerve, elle naquit tout armée. À mon arrivée, il n’y avait plus personne en ville, me disait-on, on l’avait désertée pour la campagne ; et cependant les voitures se pressaient dans les rues, mais quelques mois après je pouvais juger par moi-même de la différence.

La promenade aux îles de l’embouchure de la Néva, de fréquents voyages aux résidences impériales de Peter-Hoff et Tzarskoe-Selo remplissaient pour moi le temps que je ne consacrais pas à visiter les monuments de Saint-Pétersbourg, les richesses incalculables de l’Ermitage. Puis, appelé par une auguste volonté à assister au couronnement de l’empereur Alexandre II, à Moscou, je devais ensuite passer mon premier hiver sous le ciel clément de la Géorgie ; ce ne fut que l’année suivante que, revenu dans le Nord, je pus faire connaissance avec ce terrible hiver qui n’effraye que ceux qui ne connaissent pas les agréments qu’il procure.

Octobre est arrivé ; hier, les arbres étaient verts encore, chargés de feuilles : pendant la nuit il a fait une petite gelée, et les tilleuls sont dépouillés, et leurs feuilles font un tapis de verdure à leur pied. Les bouleaux résistent encore, mais le lendemain, leurs frêles rameaux dessinent seuls sur le ciel de délicates arabesques, et tout autour le terrain est jonché de leur parure. À une pluie assez persistante se mêlent parfois quelques flocons de neige, les vents soufflent avec violence, vents humides qu’envoie la Baltique ; parfois ils tournent au nord, puis au levant, et un froid sec et vif annonce l’arrivée de l’hiver, ou pour mieux dire, il est déjà venu.

Mais l’on s’est armé contre lui : depuis quelques jours de doubles fenêtres sont venues renforcer le rempart de verre qui défend contre l’air extérieur. Soigneusement mastiquées dans tous leurs joints, dans toutes leurs fissures, elles ne doivent plus s’ouvrir que lorsque le printemps sera bien établi, et pour surcroît de précaution un lit de sable fin de quelques centimètres d’épaisseur est répandu entre les deux châssis ; nivelé avec soin ce parterre en miniature est couvert dans quelques maisons de fleurs artificielles, dans d’autres de copeaux artistement roulés en spirale, ou bien encore de petits vases de verre remplis de sel. Les fortouchkas[1] sont garnis de lisières neuves ; c’est l’occasion d’un nettoyage à fond dans toutes les maisons, le froid peut venir : à sa première apparition, les poêles seront allumés et une chaleur de printemps — lorsqu’il est chaud — régnera toujours dans l’intérieur des maisons jusqu’au moment où l’on ouvrira de nouveau les fenêtres, ce qui n’aura lieu que lorsque la dernière neige aura disparu sous les rayons du soleil, lorsque la dernière glace du lac Ladoga aura été se fondre dans les eaux de la Baltique.

Le poêle en Russie fait partie de la construction de la maison, ainsi que nos cheminées ; chaque pièce d’un appartement possède le sien. Le système consiste en ceci : échauffer la plus grande surface possible d’une matière qui conserve la chaleur. Le problème a été résolu ; un ingénieux système de conduits faits de briques superposées force la flamme à parcourir un long espace avant de rencontrer une issue ; la fumée sort presque froide, rien de la chaleur que dégage le bois en combustion n’est perdu. L’aspect d’un poêle serait celui d’une grande armoire faisant saillie le long du mur ; il est recouvert de faïences quelquefois richement ornementées. Le foyer est placé à trente centimètres environ au-dessus du plancher ; une fois par jour on allume le feu, une brassée de bouleau est suffisante à entretenir la chaleur pendant trente heures environ. Lorsque le bois est réduit en braise, on l’amène au moyen d’un fourgon sur le devant de l’âtre, on ferme la porte, on bouche au moyen d’un couvercle l’orifice des conduits de chaleur, et jusqu’au lendemain on n’a plus à s’en occuper. Dans quelques salons d’une vaste étendue, il y a deux poêles ; dans ce cas, ils sont placés en angles coupés. Dans le palais de Peter-Hoff, j’en ai remarqué quelques-uns ornés de faïences avec des dessins en camayeux de cette couleur bleue qu’affectionnent les Chinois et que l’on a si heureusement imitée dans les Pays-Bas. Ces poêles sont d’un style charmant, et il serait à désirer que l’on y revînt dans l’ornementation des maisons nouvellement construites.

J’attendais la neige sans inquiétude, mais non sans impatience : il me tardait de jouir du plaisir que me promettait le traînage. J’étais rentré un soir par une petite pluie fine que chassait le vent de la Baltique ; le pavé retentissait sous le roulement des nombreux équipages qui sillonnent les rues de Saint-Pétersbourg. Le lendemain au matin tout était silence : la neige recouvrait de son épais manteau d’une blancheur éblouissante les toits des maisons, le sol de la rue ; quelques heures avaient suffi à opérer ce changement. Les drojkys avaient disparu, le traîneau les avait remplacés. Ce n’était cependant qu’un avant-coureur de l’hiver, deux jours plus tard les rues retentissaient de nouveau du bruit des roues, la neige avait disparu laissant à sa place une boue liquide dont on ne sentait cependant pas l’inconvénient sur les larges trottoirs dallés si bien entretenus par les dvorniks[2].

Mais bientôt l’hiver s’annonça plus sérieusement : quelques glaçons, suivis peu après de beaucoup d’autres, commencèrent à suivre le courant de la Néva d’où tous les navires avaient disparu, abrités qu’ils étaient dans le vaste bassin de Kronstadt, ou derrière de solides estacades. Bientôt ces glaçons devinrent plus nombreux ; on les entendait se choquer l’un contre l’autre avec un bruit sourd, et les bords de la rivière commençaient à se prendre ; les arches du pont Nicolas les plus rapprochées de la terre furent d’abord obstruées, bientôt après le cours du fleuve sembla ralenti par le poids des énormes blocs de glace qu’il charriait, jusqu’au moment où se soudant l’un à l’autre ils ne formèrent plus qu’un chaos immobile, semblable à ces glaciers qui descendent des hauts sommets des montagnes vouées aux neiges éternelles.

Transport de la glace. — Dessin de M. Blanchard.

Quatre ponts mettent en communication les deux rives du fleuve : le pont Nicolas, le pont de l’Amirauté, le pont d’Été et celui de la Liteyné. Le premier seul est en fer et en granit, les autres sont établis sur des pontons. À la première glace qui apparaît, on largue les amarres d’un côté, et cette masse énorme obéissant au courant vient tout entière se ranger sur un des bords ; lorsque la rivière est définitivement arrêtée, de nombreuses escouades de soldats du génie, cassant la glace, rétablissent les ponts à leur place primitive. Mais outre ces communications habituelles, on trace sur la glace des chemins qui traversent la rivière en divers sens. De jeunes arbres verts récemment coupés servent de jalons à ces communications improvisées. On déplace quelques pierres du parapet, on établit un plancher en pente qui va du quai au niveau de la rivière glacée ; la neige recouvre bientôt le tout, et les voitures sillonnent la Néva, là où quelques jours auparavant des bateaux de plaisance promenaient les oisifs, là où le commerce déployait toute son activité. Des poteaux plantés dans la glace supportent des lanternes qui commencent à briller dès que le jour disparaît ; des cantonniers entretiennent ces chemins, ces rues, allions-nous dire, qui sont fréquentées nuit et jour ; un pont volant, pour les piétons seulement, est établi devant la porte principale de la forteresse. Il est composé de madriers reposant sur la glace supportant un tablier de planches, et garni d’une balustrade ; il est également éclairé. Ces divers travaux sont exécutés en peu de jours, — tout est prévu d’avance, — aussitôt que la surface du fleuve est devenue unie comme un marbre parfaitement poli.

Car les anfractuosités causées par l’amoncellement des glaces disparaissent bientôt : deux causes y contribuent. Aux premiers froids succèdent des dégels successifs ; on m’a dit que ce n’est que la septième fois que la neige est tombée que le traînage peut s’établir. Je ne les ai pas comptées, ces neiges, mais bien souvent, sorti par une gelée magnifique, je rentrais en marchant dans la neige fondue. Une autre cause vient encore aider au nivellement du fleuve : une série de vents d’ouest qui s’établit au commencement de l’hiver, refoule les eaux du golfe de Finlande sur les glaçons accumulés ; le renversement de la brise amène des froids très-vifs, les eaux ne peuvent plus s’écouler, saisies qu’elles sont par la gelée, puis la neige recouvre le tout, neige glacée, solide comme la glace qu’elle recouvre ; vienne un nouveau dégel, la circulation n’est pas interrompue sur le fleuve, les voitures ont l’air de glisser sur un miroir, elles se reflètent dans l’eau ; mais le sol qu’elles foulent n’en est pas moins solide, il a environ un mètre d’épaisseur, et il faut de longues journées de chaleur pour dissoudre la croûte glacée qui recouvre la Néva. J’ai vu pendant la dernière année de mon séjour des hommes traverser le fleuve un jour ou le thermomètre marquait onze degrés au-dessus de zéro à l’ombre.

Si pendant l’été on s’est occupé des nécessités qu’amène l’hiver, pendant cette dernière saison on songe à l’été. Sur les canaux, sur la Néva se forment des ateliers pour l’exploitation de la glace. Débitée en cubes d’un mètre cinquante centimètres environ de longueur, elle est près du lieu de l’extraction, semblable à ces chantiers de pierre qui s’établissent près de nos monuments en construction. Bientôt arrivent ces traîneaux que le paysan russe construit lui-même si ingénieusement avec quelques coups de hache et auxquels il attelle son petit, mais patient et robuste cheval, le travail ne lui manquera pas pendant l’hiver. Il n’est pas une maison de seigneur, pas un appartement de particulier qui n’ait dans ses dépendances une cave à glace. Ce ne sont plus de longues files de voitures chargées de bois que l’on voit circuler dans les rues de Saint-Pétersbourg, elles sont remplacées par des files non moins longues de traîneaux portant chacun un de ces blocs. Le conducteur est là, assis sur la marchandise qu’il convoie, mais l’épaisseur de la pelisse de peau de mouton dont il est enveloppé le garantit suffisamment contre le contact de la glace.


Une partie en traîneau. — Un restaurant russe. — Une aurore boréale. — La vie intérieure du grand monde.

C’est ordinairement vers le 6-18 décembre que le traînage est définitivement établi ; le mois de novembre est une succession continuelle de neiges, de gelées et de dégels. Si la neige tombe en flocons épais, perpendiculairement, si elle couvre de suite la terre d’un épais manteau blanc, on peut presque affirmer qu’elle ne tiendra pas ; mais si, au contraire, chassée par le vent du nord, elle tombe presque horizontalement, en flocons menus, résistants, cristallisés, si elle crie sous le pied alors qu’on la foule, oh ! alors c’est la bonne neige, celle qu’on attendait, celle qui assure les communications faciles ; adieu alors au paletot, à l’incommode chapeau, il faut endosser la pelisse, il faut se couvrir la tête de la casquette ou du bonnet fourré.

La neige, la bonne neige, celle qui tient, est enfin tombée ; le temps est superbe, le soleil brille dans un ciel d’une couleur opaline, sur lequel courent de légers nuages roses, la brume du matin en se glaçant a déposé sur chaque rameau des arbres du jardin d’Été ou du palais Michel une cristallisation d’une blancheur éblouissante ; on les dirait couverts de poudre de diamant. La foule se presse sur les vastes trottoirs de la perspective Nevki, foule élégante dans laquelle on remarque le commode paletot gris à la fourrure d’Astrakhan des officiers de la garde impériale revenus du camp de Krasnoë-Selo, où ils ont assisté aux grandes manœuvres pendant une partie de l’été. Les calèches, les traîneaux passent rapides comme l’éclair, croisant les kibitkas[3], attelés de trois chevaux aux harnais constellés d’ornements de cuivre étincelant. Chaudement enveloppé dans ma pelisse, je jouissais de cette fête de la nature du nord, lorsque je fis la rencontre d’un de mes amis qui me proposa d’aller à quinze verstes, sur la route de Peter-Hoff, dans un traktir fameux, à Krasnoë-Kabak, manger une batvinia[4]. « Je viendrai vous prendre à huit heures, ajouta-t-il, tenez-vous prêt. » La dernière idée qui me serait venue, pensais-je en moi-même, si j’étais à Paris, serait d’emmener quelqu’un à Montmorency, à huit heures du soir, à la fin de décembre, même pour lui offrir un pâté de Strasbourg. Mon hôte sait ce qu’il fait cependant, ne nous pressons pas de juger. À l’heure dite, un élégant kibitka attelé de trois vigoureux chevaux nous emportait avec une vertigineuse rapidité. Bientôt, laissant les quartiers populeux, nous entrâmes dans de longues rues désertes, tracées seulement par des murs de planches servant à enclore des terrains vagues, au milieu desquels s’élèvent, à des distances irrégulières, des maisons de bois. Mais à peine eûmes-nous franchi la porte de la ville que la scène changea. La route était bordée de chaque côté de charmants cottages entourés d’arbres. Les étoiles étincelaient dans l’azur, la lune dans son plein répandait sur tous les objets une lumière douce et transparente qui rendait plus éclatante la blancheur de la neige que semblait refléter le ciel. Aucun souffle d’air ne faisait remuer le plus petit rameau des bouleaux dont la blanche écorce brillait comme des rubans d’argent ; par quelques échappées nous apercevions sur notre droite le golfe de Finlande immobile sous sa croûte glacée que recouvrait la neige, devant nous était l’espace, l’infini. Et nos chevaux semblaient avoir conscience de cette immensité, ils galopaient comme jadis dans les steppes sans limites où ils étaient nés, dévorant l’espace, et envoyant derrière eux, comme autant de projectiles, les mottes de neige détachées par leurs sabots ferrés à glace. Les cloches du douga[5] faisaient entendre leurs notes sonores, avertissant les paisibles traîneaux de roulage de l’arrivée de cette trombe de chevaux qui aurait renversé tout sur son passage. Le conducteur, debout sur le devant du traîneau, animait son attelage à voix basse ; de temps en temps un béreguisse (garde à vous), un peu plus accentué, avertissait un retardataire de se ranger. Chaudement enveloppé dans ma pelisse, j’avais oublié la batvinia promise, Krasnoë-Kabak ; il me semblait, dans un rêve fantastique, être entraîné à travers l’espace, nager dans un océan d’éther ; les chevaux, entourés de la vapeur qui s’exhalait de leur corps en sueur et de leurs naseaux, me semblaient voler à travers les nuages ; et les cottages, les habitations de plaisance, les massifs d’arbres chargés de neige disparaissaient derrière nous comme autant de fantômes qui semblaient se succéder à l’évocation d’une fée.

Tout a une fin, même une vision ; la mienne s’acheva devant une grande maison en bois peinte en gris[6] : nous étions arrivés à Krasnoë-Kabak. La maison vivement éclairée à l’intérieur envoyait par l’ouverture de chaque fenêtre des éclats d’une lumière rougeâtre que reflétait la neige et qui semblait embraser les arbres qui lui faisaient face. Une chaleur douce, égale, régnait au dedans, délicieux contraste avec les vingt degrés de froid que nous venions de supporter. Cette maison, cottage à l’extérieur, n’affectait pas à l’intérieur des allures de palais, mais tout y était convenable et propre, le salon était suffisamment orné et surtout parfaitement éclairé ; on reconnaissait que les hôtes habituels ne devaient être ni des mougiks ni des soldats ; dans un de ses angles on pouvait remarquer les saintes images, de ce style byzantin, que l’on retrouve dans l’appartement le plus splendide et jusque dans la moindre chaumière en Russie, et devant lesquelles brille une lampe toujours allumée. À peine assis, le somovar[7] parut sur la table escorté d’un plateau portant une théière de Chine à faire envie à un mandarin, avec une dose savamment mesurée d’un thé que le chef du Céleste-Empire n’eût certainement pas dédaigné, deux grands verres à boire et une assiette sur laquelle se trouvaient des tranches minces de citron, ainsi qu’un petit vase rempli de crème. C’est dans des verres que les hommes prennent le thé, pour les dames on le sert dans des tasses. Ce breuvage chaud, lorsque l’on vient d’être exposé à un grand froid, est le tonique le plus puissant, le plus agréable que l’on puisse désirer. La batvinia dont on me faisait fête apparut enfin. Le kvass[8], le meod[9] avaient figuré sur la table, mais furent peu après remplacés par le laffitte, — tous les vins de Bordeaux ordinaires sont du laffitte en Russie, — et le pétillant vin de Champagne vint clore cette liste où la France brillait au premier rang. Je ne décrirai pas ici les côtelettes faites avec du hachis, les poissons variés que l’on nous servit, et dont le nom de la plupart m’était inconnu, à l’exception du sterlet qui justifie sa réputation de délicatesse ; le repas était de beaucoup supérieur à ce que je croyais trouver là où je me figurais ne rencontrer que du pain noir[10], des œufs durs, et où le kvass, selon moi. devait remplacer les breuvages plus généreux du midi de l’Europe, de la Crimée ou du Caucase.

À notre retour, un spectacle splendide nous attendait. Peu à peu la douce clarté de la lune parut s’augmenter ; du côté du nord s’élevait à l’horizon une lueur, faible d’abord, mais qui se trahit bientôt par de vifs éclats ; le ciel semblait rayonner de flammes qui, d’un jaune pâle, passaient au violet clair. Je croyais voir une gloire immense d’où la foudre allait s’élancer, et la lumière augmentait d’intensité, et le ciel s’enflammait davantage. D’instant en instant, du centre du foyer lumineux s’échappait un éclair éblouissant, des météores blancs sillonnaient le ciel, mais la foudre était muette, les éclairs sans chaleur, bientôt ils devinrent plus rares, l’horizon polaire s’obscurcissait insensiblement, l’orage magnétique, l’aurore boréale avaient pris fin, et la lumière azurée de la lune régna de nouveau sur le paysage austère mais plein de poésie qui nous environnait[11].

Les restaurants sont assez nombreux à Saint-Pétersbourg, quelques-uns sont de premier ordre : Dussaut, Borrel, Vair, Donon ont acquis une réputation méritée. Leurs salons sont vastes, fort bien éclairés, et le service y est fait en grande partie par des Tatares en habit noir et en cravate blanche, bons musulmans d’ailleurs, ayant le droit de posséder un harem, parfaitement polis, quelques-uns parlant, outre le russe, l’allemand ou le français. Les repas sont généralement à prix fixe, qui varie depuis un rouble jusqu’aux sommes les plus considérables ; le vin se paye toujours à part. Wolf, Dominique, le grand Vaux-Hall du chemin de fer sont également des restaurateurs en vogue. À leur suite viennent les traktirs, dans le nom desquels il me semble que l’on peut reconnaître une corruption du mot traiteur[12]. Quelques-uns de ces établissements sont tenus sur un très-grand pied ; la tout est russe, bien russe ; quelques-uns, sacrifiant à la mode, font endosser à leurs garçons (tchélavek) l’habit noir ; combien mieux inspirés sont ceux qui, conservant les vieilles coutumes, n’admettent que des serviteurs aux cheveux longs séparés sur le milieu de la tête, à la tunique élégante serrée à la taille, chaussés des bottes nationales. Ces établissements sont très-fréquentés, surtout par les marchands : que de transactions se sont opérées auprès d’un somovar ! le thé coule à grands flots toute la journée, thé exquis, à l’arome parfait.

Un traktir ou cabaret. — Dessin de M. Blanchard.

Dans cet heureux séjour la nappe est toujours mise ; les zakouskas, les liqueurs fortes précèdent des dîners homériques où le champagne coule comme la Néva entre ses quais de granit. C’est surtout l’hiver, alors que les marchands sibériens viennent apporter leurs métaux précieux, leurs fourrures, que ces établissements sont animés. L’or coule entre les mains de ces nababs hyperboréens avec la plus grande facilité, rien ne leur semble cher pour satisfaire leurs fantaisies, et ils passent en réjouissances le temps qui s’écoule entre leur arrivée et le long et pénible voyage qu’ils doivent accomplir pour regagner leurs foyers.

Ces établissements sont nombreux à Saint-Pétersbourg ; presque tous possèdent un orgue monumental, orgue mécanique, qui fait l’admiration des habitués. Tous les tratkirs cependant ne sont pas montés avec le même luxe, il y en a pour toutes les classes, pour toutes les bourses ; quelques-uns ont pour habitués de modestes employés, d’autres accueillent seulement les domestiques, les paysans. Le lieu de la scène est moins beau certainement, mais dans tous on retrouve les saintes images et leur lumière constamment allumée, dans tous le thé est excellent.

La vie intérieure en Russie est large. Les appartements sont vastes et semblent réclamer un concours de visites, qui ne fait jamais défaut. L’hospitalité est sans bornes. Il est telle maison où l’on vous invite à dîner pour la forme, mais où vous êtes sûr d’être toujours le bienvenu, si vous arrivez à l’heure du repas. Les salons dorés ont conservé l’accueil de la tente. On ne dit pas que l’on a des visites, on reçoit des gost (hôtes). Cette vertu est générale, seulement les riches ont naturellement plus de facilité pour la pratiquer. À l’entrée d’une maison opulente, vous trouvez dès le vestibule, chauffé comme le reste de la maison, un chvetzar, suisse en grande livrée, tricorne sur la tête, large baudrier en bandoulière, qui vous dit si le maître ou la maîtresse de la maison sont visibles. Un valet de pied s’empresse de vous débarrasser de vos fourrures. Les escaliers sont un des grands luxes des hôtels russes, richement ornementés, garnis de plantes en tout temps. Un grand nombre de domestiques remplissent les antichambres, puis c’est une suite de salons, grands et petits, ornés généralement de tout ce que le luxe moderne a pu inventer, de ce que les arts produisent de plus recherché. Quelques hôtels ont une galerie de tableaux, véritables musées, disposés de la manière la plus avantageuse pour faire valoir les œuvres précieuses qu’ils renferment, et où l’on trouve à côté des maîtres les plus célèbres des écoles anciennes, les productions de nos peintres, de nos sculpteurs modernes, de ceux qui ont acquis un nom. Les tableaux d’Horace Vernet, de Gudin, de Meissonier, de Calame, etc., etc., ornent la plupart des galeries. Je ne parlerai pas ici des palais impériaux, des résidences des princes de la famille impériale dont la richesse est proverbiale ; mais il est telle galerie comme celle des hôtels Bieloselsky, Emmanuel Narichkine, princesse Zénaïde Youssoupoff, Galitzine, Lazare Lazareff et bien d’autres que l’on pourrait citer, qui possèdent des galeries qui feraient honneur à une grande ville. La maison du directeur général des postes, M. Prianitchnikoff, se distingue entre elles par une spécialité : elle ne renferme que des tableaux de peintres russes, et j’en, connais parmi eux qui brilleraient au premier rang dans nos expositions. La peinture marche en Russie vers un progrès marqué ; la jeune école a des qualités réelles, et je lui reconnais un grand mérite, c’est de procéder d’elle-même, sans pour cela répudier les enseignements qu’elle doit à ses devanciers dans la carrière des arts.



Noël et l’arbre de Noël. — Les théâtres. — Les bains. — Les églises. — Mariages et enterrements. — Le jour de l’an. — La fête du Jourdain. — Un bal au palais impérial.

Nous sommes en plein hiver, une neige abondante, succédant à de nombreux dégels, a nivelé le sol. Sur toutes les routes qui aboutissent à la capitale, à toutes les villes, devrions-nous dire, se succèdent de longues files de traîneaux. Noël approche, Noël avec toutes ses joies, ses fêtes, ses festins ; depuis quelques jours le marché de la Sennaïa[13] voit s’amonceler sous ses appentis des montagnes de provisions de bouche gelées : des agneaux, des moutons, des porcs entiers, que la hache semble ne pouvoir entamer et qui retrouveront dans l’eau leur fraîcheur première ; des amas de poissons, saumons, esturgeons, sterlets, et une foule d’autres de dimensions plus modestes, que la gelée a saisis dans une dernière convulsion et qui affectent les mouvements les plus bizarres. La foule est grande, acheteurs et vendeurs semblent rivaliser d’entrain ; à chaque moment un traîneau se fraye un chemin à travers la foule ; il porte, à côté de la ménagère, un mouton aux pattes roidies, braquées en avant, un veau tout entier, ou l’un de ces poissons pantagruéliques qui semblent destinés à rassasier une caravane affamée. Il ne faudrait pas croire cependant que dans les grands froids la consommation se compose entièrement de denrées gelées. La viande fraîche se trouve en abondance, et il est facile de se procurer du poisson vivant dans les bateaux établis sur les canaux pour ce genre de commerce.

Traîneau de ville. — Dessin de M. Blanchard.

Il est un autre marché, celui-ci élégant, qui annonce la veille de Noël. Cette fête de Noël, l’arbre de Noël, est un usage allemand qui s’est introduit en Russie. Dans les jours qui précèdent cette solennité de l’Église, on ne rencontre dans les rues de Saint-Pétersbourg que des arbres ambulants, on croirait voir la forêt de Birnam évoquée par les sorcières de Macbeth. Ce marché éminemment temporaire se tient devant le Gostinoï-Dvor[14]. Des milliers de jeunes arbres verts coupés au ras du sol sont amenés des forêts qui avoisinent Saint-Pétersbourg, la consommation en est immense, il n’est pas de famille qui ne sacrifie à cet usage. Le 24 décembre au matin, la façade du monument semble entourée de bosquets verdoyants ; le soir il n’y a plus rien, et toute la journée on a vu les voitures de l’aristocratie, le traîneau du prolétaire se retirer chargés de leur vert butin.

UN HIVER À SAINT-PÉTERSBOURG. — L’arbre de Noël. — Dessin de M. Blanchard.

Si maintenant nous nous transportons dans un de ces salons élégants dont nous avons parlé, nous y trouverons une famille réunie, quelques amis intimes étrangers à la ville, quelques célibataires ; ceux-là seulement qui n’ont pas d’intérieur seront invités. Depuis le matin un salon, assez souvent la galerie des fêtes, a été interdit à la curiosité des enfants. Ces belles jeunes filles, ces officiers nouvellement promus, ces jeunes garçons revêtus de la chemise et des bottes de l’ancien costume russe ou de l’uniforme d’un des établissements d’éducation de la couronne, pépinières où se recrutent les maréchaux et les ambassadeurs, ils sont là tous, attendant avec impatience le moment où le fameux « Sésame, ouvre-toi ! » sera prononcé. Cette porte s’ouvre enfin, tous se précipitent, les grands parents sourient, se rappelant les émotions qu’ils éprouvaient jadis à pareille époque.

Ce salon, objet de tant de convoitises, est brillamment éclairé ; au centre se trouve une immense table où s’élève majestueusement le fils des forêts, quelquefois deux autres lui servent d’acolytes. Chacune de ses branches porte un petit cierge allumé, lustre charmant qui fait souvenir du printemps et de ses joies ; à chacun de ses rameaux est attaché un bonbon, quelques grains de raisins, ou des oranges qui pendent semblables aux fruits du jardin des Hespérides. La table est couverte d’albums, d’écrins, de tableaux, de meubles précieux, d’œuvres d’art de toute espèce, de livres richement reliés, de jouets pour les enfants ; sur un chevalet se dressera, à côté, le portrait du maître de la maison fait par Zarenko, ou une de ces scènes de sport russe que Svertchkoff excelle à reproduire ; des aquarelles de Timm de Zichy, des pastels de Robillard complètent cette série de présents. Personne n’a été oublié, chacun se dirige vers le lot qu’il sait devoir lui appartenir. Quand le premier moment d’admiration, de surprise est passé, on se dirige vers les parents pour embrasser respectueusement leur main, mais leurs bras s’ouvrent et de douces étreintes succèdent à ce que l’usage avait exigé.

Les groupes se forment, chacun admire ou fait admirer aux autres le lot qui lui est échu. Bientôt le somovar fait son apparition ; puis arrivent les déserteurs d’autres arbres de Noël, le salon se remplit, et quelquefois un joyeux quadrille termine cette fête qui inaugure les grandes réceptions où le luxe princier des seigneurs se montrera dans tout son éclat.

Outre les hôtels, les restaurants, les traktirs, on trouve à Saint-Pétersbourg de bonnes pensions, les unes allemandes, d’autres françaises, où l’on peut rencontrer la vie de famille ; généralement situées dans les beaux quartiers, au centre de tout, elles sont une précieuse ressource pour l’étranger qui peut y retrouver comme un reflet de la patrie.

Les théâtres de Saint-Pétersbourg sont nombreux et dignes d’une grande capitale. Comme importance, celui de l’Opéra l’emporte sur tous les autres. Un luxe bien entendu règne dans la salle, et comme mise en scène, comme richesse de décoration, ce théâtre n’a rien à envier à ses analogues de Paris ou de Londres ; on sait d’ailleurs que les plus grands noms dont s’honore la scène italienne s’y sont fait entendre. Sur la perspective Nevski, dont il est séparé par un vaste square orné d’arbres, s’élève le théâtre Alexandra, c’est là le théâtre russe par excellence ; la comédie, le drame, la tragédie y alternent avec l’opéra. Il est facile de comprendre qu’il soit le moins fréquenté des étrangers. Le monument est beau, la salle vaste et bien distribuée. Le théâtre Français ou la salle Michel, comme on le nomme, est le plus petit de tous ; situé sur la vaste place qui règne devant le palais du défunt grand-duc Michel, frère de l’empereur Nicolas Ier, rien ne le distingue à l’extérieur des autres maisons de la place, toutes, à l’exception d’une, la maison Lazareff, construites sur le même plan. On sait que ce théâtre se recrute de nos acteurs de premier ordre, et qu’il est peu de nos artistes aimés du public à qui les offres les plus séduisantes n’aient été faites ; on sait aussi que beaucoup ont accepté. Le théâtre du Cirque, placé vis-à-vis de celui de l’Opéra, et que l’on pourrait croire occupé par des chevaux, est-ce en souvenir du mot de Charles-Quint ? sert aux représentations des acteurs allemands, habent sua fata. Ce théâtre a subi des fortunes diverses : d’abord, comme son nom l’indique, il y existait un manége, où les écuyers les plus intrépides, les clowns les plus disloqués venaient faire admirer leur adresse, où les épopées militaires se représentaient avec un grand luxe. Ce spectacle ne répondit pas aux espérances que l’on avait conçues. Le manége devint un parterre vaste et commode, avec des stalles confortables, et le théâtre allemand y trouva une salle digne de le recevoir. Pendant l’hiver de 1858 à 1859, un acteur américain, mulâtre, fils d’un ministre protestant, et ne parlant qu’anglais, vint y donner des représentations ; interprète de Shakspeare, cet acteur nommé Alridge s’est avisé d’un moyen ingénieux pour pouvoir jouer partout dans sa propre langue. Ici ses interlocuteurs lui parlaient allemand, il répondait en anglais. Je ne doute pas qu’il n’en fît autant avec toutes les autres langues de l’Europe. Le succès du reste couronna ses efforts ingénieux, mais ses représentations furent interrompues par un événement funeste. Le théâtre devint la proie des flammes pendant une des nuits du carnaval, et lorsque le signal fut donné, l’incendie avait fait de tels progrès, que, malgré la proximité du canal qui le limite d’un côté, les secours furent insuffisants, et quelques heures après il ne restait plus de cette salle élégante que les murs calcinés. Peu de temps après cet événement, les ouvriers étaient à l’œuvre, et l’année ne s’est pas écoulée sans que, nouveau phénix, ce théâtre ne renaquît de ses cendres plus solide et plus élégant que son devancier.

Il existe devant les monuments dont la destination amène un grand concours de voitures, qui doivent stationner pendant les longues soirées froides de l’hiver, des kiosques couverts dans lesquels on allume de vastes foyers. Le palais impérial, les théâtres en sont pourvus. De grands bûchers y sont allumés, les cochers à tour de rôle, laissant leurs chevaux à la garde d’un compagnon, peuvent de temps en temps ranimer, près de ces foyers ardents, leurs sens engourdis.

Le bain de vapeur est, en Russie, non un objet de luxe, un usage de propreté, mais une véritable nécessité. Toutes les classes de la société en usent avec une grande régularité. Ces établissements hygiéniques occupent de vastes espaces. Il y a trois classes d’étuves, l’une où l’on ne paye que trois kopeks (douze centimes), une autre dont le prix est de quinze kopeks (soixante centimes) ; dans les deux premières on se baigne en commun. Les femmes ont, bien entendu, leurs étuves séparées. Dans la troisième on est seul, mais la disposition intérieure est la même, la vapeur s’obtient au moyen de plaques de fer chauffées sur lesquelles on jette de l’eau qui se vaporise immédiatement, au fond de la salle s’élèvent des gradins de bois, où chacun peut en s’élevant trouver le degré de chaleur qu’il peut supporter. Ces dernières étuves sont ornées avec goût, avec luxe même ; on entre d’abord dans un premier salon assez vaste, garni d’un épais tapis, de glaces, de meubles ornés ; c’est là qu’on se déshabille, là qu’on se reposera après le bain ; dans une seconde salle se trouve une baignoire ; puis enfin on entre dans l’étuve brillamment éclairée pendant les longues soirées d’hiver. Deux fois par semaine les étuves sont fermées, mais les bains d’eau douce sont toujours prêts. C’est surtout le samedi et pendant l’hiver que ces établissements sont fréquentés ; par tous les aboutissants on voit affluer de longues lignes de mougiks, de femmes, de soldats, chacun un paquet sous le bras, renfermant, outre le linge dont ils comptent se revêtir, des poignées d’une étoupe à larges brins dont ils se frictionneront. On m’a cité tel de ces établissements qui recevait, chaque samedi, plus de quatre mille visiteurs, et ces établissements sont nombreux à Saint-Pétersbourg.

Entrée d’un bain un samedi. — Dessin de M. Blanchard.

Il y a à Saint-Pétersbourg un grand nombre d’églises ; outre les deux cathédrales de Kazan et d’Isaac, on compte de nombreuses paroisses, et chaque régiment de la garde possède une église qui lui est attitrée ; les cérémonies s’y font avec pompe. Il n’y a qu’un seul autel, élevé de quelques marches, séparé du public par une cloison nommée l’Iconostase, percée de trois portes et ornementée généralement avec goût, souvent avec luxe. Il est inutile d’ajouter que pendant l’hiver elles sont admirablement chauffées. L’usage des messes basses n’existe pas et la grand-messe est accompagnée de chœurs qui chantent sans instruments, avec une justesse remarquable, où l’on rencontre des voix qui feraient la fortune de plus d’un théâtre. Les chantres de la chapelle de l’Empereur jouissent d’une réputation incontestée et justement méritée. Les ornements sacerdotaux aux couleurs vives et brillantes, rehaussés d’or, accompagnent dignement les barbes et les longs cheveux séparés sur le sommet de la tête des desservants ; ainsi qu’en Espagne, dans les temples catholiques, il n’y a ni chaises ni bancs dans les églises du rite grec de Russie ; et les génuflexions des fidèles sont nombreuses, plus nombreux encore les signes de croix, que l’on fait même en passant devant les portes des églises ; il n’est pas jusqu’aux cochers qui, tout en guidant leurs chevaux, ôtent leur chapeau et se signent, mais cela sans ostentation ; on reconnaît une croyance sincère.

Le mariage en Russie est un acte purement religieux ; la cérémonie est touchante et conserve des traditions des anciens temps ; il se fait généralement le soir. Le père ni la mère de la mariée ne doivent y assister[15], retenus qu’ils doivent être à la maison par la douleur que leur cause l’enlèvement de leur fille chérie. Ils sont représentés, à l’église, par des délégués qui prennent le nom de père et mère assis. À quelque distance, devant l’Iconostase, sur un large tapis, se dresse un pupitre où se trouve le livre saint. Excepté l’échange de l’anneau, l’exhortation aux nouveaux époux, la cérémonie m’a paru différer entièrement de celle en usage parmi les catholiques. Chaque époux est assisté d’un garçon d’honneur ; de temps en temps s’élèvent les voix du chœur ; à un certain moment, chacun des conjoints prend de la main gauche un cierge allumé, le prêtre leur met la main droite l’une dans l’autre, et prenant à son tour les deux mains réunies, il entraîne les époux en leur faisant faire trois fois le tour du pupitre ; les garçons d’honneur les suivent tenant élevée au-dessus de leur tête, mais sans la toucher, une couronne d’argent ; tout est symbole dans la religion grecque. Lorsque la cérémonie est terminée, les garçons d’honneur soutenant sous le bras la nouvelle épouse, lui font monter les marches qui conduisent à l’Iconostase dont les portes sont restées ouvertes[16] et le sanctuaire brillamment illuminé, puis après les génuflexions obligées, la conduisent donner un baiser aux saintes images, mais sans pénétrer dans l’intérieur, où les femmes ne sont pas admises. Le lendemain, les nouveaux époux vont ensemble à la messe, mais alors ils sont confondus avec le reste des fidèles.

Mariage russe. — Dessin de M. Blanchard.

Les enterrements sont aussi l’objet d’un grand déploiement de pompe. Le cercueil, d’une forme élégante, est orné de passementeries, de clous et de poignées d’or et d’argent, recouvert à moitié d’un tapis d’une étoffe précieuse dont ces métaux forment le tissu[17]. Le cortége est précédé par une longue suite d’hommes portant des lanternes. Le char funéraire est découvert, à deux ou plusieurs chevaux, suivant la fortune ou le rang du décédé. Parfois le cercueil est porté à bras, soit que la haute position sociale du défunt leur ait acquis un grand nombre de clients, soit, s’il dirigeait un grand établissement, par ceux qui furent ses subordonnés ou ses obligés : dans ces deux cas, chacun se fait un devoir de supporter le corps, ne fût-ce qu’un moment. Le chemin que doit parcourir le cortége est semé de branches d’arbres verts ; un nombreux clergé l’accompagne, et la prière descend encore sur la tombe. Lorsque les dernières cérémonies sont accomplies, l’assistance se transporte dans une maison attenante au cimetière où un repas funéraire est préparé ; le festin se prolonge assez longtemps, il est toujours abondant, recherché même, du moins ceux auxquels j’ai assisté, chacun peut y prendre part, et je ne voudrais pas répondre que tous les convives eussent personnellement connu ceux auxquels je rendais les derniers devoirs. Les femmes, du reste, accompagnent leurs morts jusqu’à la demeure dernière, presque toujours elles font cette longue route à pied ; les cimetières sont situés à grande distance du centre de la ville, et la nécessité aidée de la tradition explique ces funèbres agapes.

Deux fois j’ai vu l’empereur suivre à cheval le convoi de deux vieux serviteurs ; l’un était un général, fils naturel du grand-duc Constantin Pavlovich, l’autre avait été grand veneur, une des grandes charges de la couronne ; leurs noms m’échappent. Il était touchant de voir le maître absolu de tant de millions d’hommes rendre hommage à cette égalité qui commence au tombeau en se mêlant à la foule qui suivait ceux que la mort avait frappés, et le respect que l’on témoignait à ceux qui n’étaient plus était augmenté par la présence du souverain qui s’associait à cette funèbre cérémonie.

Le premier jour de l’année est, comme celui de Noël, consacré aux visites, et n’a rien d’ailleurs qui le distingue des autres. Il n’en est pas de même de l’Épiphanie ; c’est une grande fête dans l’empire de Russie. Dans les villes, dans les bourgs, dans les moindres villages, là où il y a un prêtre et un cours d’eau, ces dernières sont bénites. Cette fête, nommée Yordann en souvenir du Jourdain, se célèbre à Saint-Pétersbourg avec grand éclat. Sur le bord de la Néva, devant le palais, on élève sur la glace un temple richement orné et élevé de plusieurs marches au-dessus du niveau du quai. Le plancher en est interrompu au centre, juste au-dessus d’un trou fait dans la glace laissant apercevoir l’eau limpide du fleuve. Ce jour-là toute la cour, les aides de camp de l’empereur se réunissent dans les riches appartements du palais ; une messe solennelle est célébrée par le métropolitain de Saint-Pétersbourg et Novgorod dans la magnifique chapelle, où retentissent les voix sans égales des chantres. Tous les grands dignitaires de l’Église y assistent revêtus de leurs plus beaux ornements ; mais avant de décrire le grand spectacle qui va suivre, il est bon de dépeindre le théâtre où il va s’accomplir. Le palais de l’Empereur, vaste et imposant monument, s’élève sur la rive gauche de la Néva ; la façade du nord en est séparée par le quai de la Cour, en amont du fleuve ; ce quai est bordé par l’Ermitage, la caserne monumentale des Préobrajensky, de superbes hôtels parmi lesquels on remarque la demeure du grand-duc Michel, frère de l’empereur, et se termine au palais de Marbre, splendide résidence du grand-duc Constantin Nicolaëvitch. Une place, un boulevard séparent en aval le palais impérial des immenses bâtiments de l’Amirauté au-dessus desquels s’élève une flèche aiguë d’une hauteur considérable. Devant la façade méridionale du palais une place demi-circulaire au centre de laquelle se dresse la colonne monolithe élevée à la mémoire de l’empereur Alexandre Ier, le sépare des bâtiments des ministères qui forment hémicycle ; au centre une arcade d’une grande portée surmontée d’un quadrige établit la communication avec les quartiers principaux de la ville. À la continuation de cette place, devant la façade sud de l’Amirauté, se trouve l’immense place du même nom, bornée d’un côté par le boulevard qui règne autour du monument, et de l’autre par des constructions grandioses au nombre desquelles on remarque le ministère de la guerre. La place de Saint-Isaac vient à la suite : d’une superficie plus considérable encore, son périmètre est tracé par l’église splendide qui lui donne son nom, par le palais du Sénat et la troisième façade de l’Amirauté. Au centre, dominant le fleuve, la statue colossale de Pierre le Grand semble encore commander à cette Néva qu’il a domptée. Sur la rive opposée devant le palais de Marbre se dresse la sombre forteresse de Saint-Pétersbourg d’où jaillit la flèche aiguë de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul, qui renferme les tombes des souverains de Russie de la dynastie des Romanoff. Devant le palais impérial, le fleuve, après avoir baigné le pied du quartier dit le vieux Saint-Pétersbourg, se divise en deux branches enserrant entre ses bras l’île de Basile, Vassili-Ostroff, siége du commerce le plus actif. À cette pointe s’élève la Bourse et ses deux colonnes rostrales, puis cette longue ligne de monuments va se perdre dans la brume que forme l’éloignement.

Yordann (Bénédiction des eaux). — Dessin de M. Blanchard.

Dès le matin, les trois places géminées sont occupées par la garde impériale formée en masses compactes. Si le thermomètre n’accuse que cinq degrés[18] au-dessous de zéro, les troupes sont revêtues de leurs brillants uniformes ; si le froid est plus intense, elles sont couvertes de la solide capote grise que porte toute l’armée, infanterie et cavalerie. L’année où j’assistai à cette magnifique cérémonie, l’hiver avait tardé à s’établir, depuis quelques jours seulement il semblait assuré ; une neige étincelante recouvrait la terre, le ciel était clair, brillant, nuancé de teintes roses, le froid se montrait clément. Les troupes dans leur plus belle tenue, irréprochable, recouvraient de leur masse compacte le vaste espace. À l’issue du service divin, la cour se forma en procession sur deux rangs, les huissiers et les gens de service en avant, les moins qualifiés de la cour venaient ensuite, suivis des charges puis des grandes charges de la couronne, précédant le groupe brillant où se trouvent l’empereur entouré des grands-ducs ses frères, des ministres, celui de la maison de l’empereur près de sa personne, de ses aides de camp généraux, des généraux de sa suite, de ses aides de camp, de ses pages ; le clergé, les hauts dignitaires de l’Église, les chantres marchant en tête, précédés ou accompagnés de bannières aux vives couleurs. Tout le monde a le casque ou le chapeau à la main[19]. Ce cortége, éblouissant d’or, de diamants, de broderies, traverse à pas lents les splendides appartements, la cour d’honneur, se dirigeant, en faisant le tour du palais à l’extérieur, vers le lieu où s’accomplira la cérémonie sainte. Le souverain, les membres de la famille impériale, quelques généraux sont à cheval, et mettent pied à terre près des marches, recouvertes de tapis, qui donnent accès au monument, près duquel sont groupés les drapeaux de la garde, les bannières de la procession. Là, lorsque l’empereur et sa suite ont pris place à l’intérieur, la cérémonie commence ; elle est accompagnée des chants mélodieux de l’Église grecque orthodoxe. Le métropolitain appelle la bénédiction de Dieu sur les eaux qui jaillissent dans toute l’étendue de l’empire, qui fécondent les champs ; et, prenant la croix sainte, il la plonge dans le gouffre béant au fond duquel apparaît l’eau limpide du fleuve. À ce moment le canon fait entendre sa voix de bronze, un nuage de fumée enveloppe les quais, le palais ; chacun veut toucher de ses lèvres cette eau bénite, la foule est grande là où une fissure dans la glace permet d’en puiser[20] ; les troupes agenouillées présentent les armes ; et la Néva est là calme, glacée, immobile au milieu de l’animation que présentent ses bords.

La fête militaire succède aux pompes de la religion. L’empereur remonte à cheval, et suivi d’un brillant état-major, passe devant le front de chaque régiment ; il est accueilli par de frénétiques hourras, puis, venant se placer devant la porte du palais, vis-à-vis la glorieuse colonne Alexandrine, il assiste au défilé des troupes qui passent devant lui en l’acclamant de nouveau. C’est en ce jour que l’on peut admirer ces militaires d’élite, ces hommes choisis un à un selon le régiment auquel ils doivent appartenir ; cette cavalerie dont chaque cheval est digne d’être monté par un général, cette uniformité dans la couleur de leur robe. C’est encore alors que l’on peut remarquer la régularité des mouvements, la précision des manœuvres. Ce qui frappe surtout l’étranger, au milieu de cette magnifique garde impériale, c’est l’escorte particulière de l’empereur[21], aux costumes asiatiques, aux chevaux relativement petits, mais pleins de feu. L’empereur ne se retire que lorsque le dernier peloton a défilé devant lui, que la dernière acclamation s’est fait entendre.

Le lendemain de cette belle fête, bien enveloppé de fourrures, assis dans un traîneau glissant légèrement sur le sol glacé, par une de ces splendides soirées d’hiver où la neige étincelle comme des diamants aux rayons de la lune, je me dirigeais vers le palais. Semblables à des ombres silencieuses, de toutes parts affluaient vers le même lieu d’élégants équipages, aux chevaux fougueux, et le bruit de leurs pas était amorti par le blanc linceul qui recouvrait la terre. De toutes les fenêtres du palais s’échappaient des torrents de lumière, saisissant contraste avec la douce clarté bleue que tamisait le ciel. En pénétrant dans le palais, je fus ébloui : une nuée de valets de pied, d’huissiers, revêtus de livrées d’une richesse et d’une élégance suprême, s’échelonnaient le long des escaliers, garnissaient les antichambres. Les trois mille invités arrivaient successivement. Quelles toilettes ! que de perles, de rubis, de diamants ! Il me semblait comme dans ce conte de fées voir réunies toutes les richesses de la terre. Les uniformes étincelant de broderies étaient constellés de décorations ; tous les grands noms dont s’honore la Russie avaient là des représentants ; le corps diplomatique, au grand complet, se réunissait près de la porte par où devait entrer le souverain. En face, les dames, semblables à une de ces palissades de camélias où les fleurs recouvrent les feuilles, formaient un groupe aux couleurs chatoyantes, où l’éclat des yeux le disputait à celui des pierreries. L’immense salle Blanche[22], dont l’éclairage était féérique, se remplissait à vue d’œil, lorsque la porte du fond s’ouvrit, et l’empereur fit son entrée, donnant la main à l’impératrice, précédé par le grand maréchal de la cour, comte Chouvaloff, suivi des grands-ducs, ses frères, de Mmes les grandes-duchesses, du comte Adlerberg, ministre de la maison de l’empereur ; de quelques dames, du chambellan de service et des aides de camp. L’empereur avait revêtu l’uniforme des hussards de la garde ; quant à l’impératrice et à Mmes les grandes-duchesses, tout ce que l’imagination peut rêver de plus riche et de plus élégant formait la toilette de ces belles princesses, qui semblaient porter sur elles les trésors de Golconde et de Visapour.

La polonaise[23] commença immédiatement, et sitôt après les quadrilles se formèrent. Deux orchestres, placés dans une galerie supérieure, exécutaient les airs de danse les plus nouveaux. Il faut avoir vu exécuter la polka, la mazurka sur leur sol natal pour se faire une idée de la grâce de ces danses nationales ; les lanciers, alors dans toute leur nouveauté, alternaient avec elles. Les grands-ducs semblaient s’être érigés en maîtres de cérémonies ; c’étaient eux qui organisaient les quadrilles, qui les guidaient dans leurs passes variées. L’empereur se promenait de groupe en groupe, s’entretenant avec affabilité avec ceux qui les composaient. Le bal était alors dans tout son éclat, mais bientôt ce vaste salon devint désert : l’heure du souper était arrivée.

Bal à la cour. — Dessin de M. Blanchard.

Le couvert était dressé dans une immense salle ou plutôt une longue galerie nommée salle Nicolas[24], éblouissante de lumière ; au centre se trouvait la table impériale couverte de vaisselle d’or massif, de surtouts fabuleux. Une palissade de hauts camélias en fleurs servait de fond à ce riche tableau ; trois rangées de tables régnaient le long de la galerie ; l’une d’elles était recouverte du surtout que l’empereur Nicolas avait acheté à Londres au prix d’un million. C’était celle destinée au corps diplomatique ; M. Jean Tolstoï, ministre adjoint des affaires étrangères, en faisait les honneurs. Sur les autres, on pouvait voir les progrès que l’art de l’orfévrerie avait accomplis depuis le règne de l’impératrice Catherine II. Les produits les plus estimés de Sèvres et des manufactures de Saxe complétaient ce merveilleux ensemble, qu’accompagnaient quatre immenses dressoirs couverts de plats d’or et d’argent ciselés, où le fini du détail se disputait à la matière. Une nuée de maîtres d’hôtels, à l’habit écarlate galonné d’or, de valets de pied à la livrée impériale, accomplissaient le service avec célérité et sans confusion. L’impératrice et quelques hauts dignitaires, quelques dames désignées d’avance prirent place à la table impériale. L’empereur parcourut un moment le salon, puis s’assit à une place qu’il trouva vacante. Quelque lieu qu’il occupât, c’était certainement la place d’honneur. Le menu des festins du lord-maire de Londres, que le Times enregistre complaisamment dans ses colonnes, peut seul donner une idée de la délicatesse de ce souper, où tous les invités furent admis, et la musique des régiments Préobrajensky et Pavlovsky firent entendre, pendant tout le temps du repas, de joyeuses mélodies.

À compter de cette belle fête, qui inaugurait d’une manière si brillante les plaisirs de l’hiver, elles se succédèrent avec fréquence dans les hôtels princiers de l’aristocratie. Je voudrais pouvoir les raconter toutes ; mais celles qui m’ont le plus frappé par leur éclat furent un bal chez M. Emmanuel Narichkine, un concert chez le comte Orloff Dawidoff, et l’inauguration des salons du prince Galitzine. Le carnaval vint donner un nouvel essor à ces fêtes, qui se terminèrent par celle que Mme la grande-duchesse Marie Nicolaevna donna dans son magnifique palais. À peine le dernier coup de minuit du dimanche gras[25] avait-il sonné que, semblables à la Cendrillon du conte des fées, les belles danseuses s’enveloppant de leurs chaudes fourrures, regagnèrent leurs équipages : le carême et ses austérités régnait désormais en maître dans toutes les familles de l’empire russe.

Et la neige recouvre toujours le sol, et la Néva est toujours emprisonnée sous sa voûte glacée. Les arbres dépouillés courbent encore leurs branches sous l’effort puissant des brises froides envoyées par le pôle. Bientôt la neige tombe plus abondante en flocons épais ; les vents du couchant, si longtemps enchaînés, reprennent leur empire : le mois de mars est arrivé. Les nuits sont froides encore, mais, dans la journée, le soleil fait sentir son influence chaque jour croissante, la terre se débarrasse de son linceul glacé, les bourgeons que le froid emprisonnait essayent de percer l’écorce des tilleuls, et le promeneur un matin aperçoit, au lieu de la surface immobile de la Néva glacée, ses eaux bleues et limpides qui se rident doucement en reflétant les rayons d’un soleil radieux.

P. Blanchard.



  1. Le fortouchka est un couple de carreaux mobiles se correspondant et placés au milieu d’un battant d’une des fenêtres. Chaque pièce d’un appartement en possède un.
  2. Drovnik, littéralement l’homme de la cour, dvor. Ce sont les portiers chargés de l’entretien de la propreté des maisons. Chaque dvornik a des aides : la nuit, quelque temps qu’il fasse, il y en a un de garde sous la porte cochère. Ils doivent enlever à toute heure la neige qui tombe sur les trottoirs ; ils sont armés d’un bâton ferré qu’ils doivent de temps en temps laisser retomber bruyamment sur les dalles, comme preuve de vigilance.
  3. Le kibitka est le traîneau de voyage. Il est plus vaste que celui de ville, recouvert d’une capote et attelé en troïka, à trois chevaux. À l’avant de chaque côté se trouvent deux espèces de garde-neige, faisant saillie de chaque côté pour garantir les voyageurs de celle que lancerait le pied des deux chevaux de droite et de gauche. Le cocher conduit debout.
  4. La batvinia est une soupe au poisson, une espèce de bouillabaisse.
  5. Le douga est cet arc de bois de forme ogivale qui est au-dessus du garot du cheval et sert à réunir le collier et les brancards. Le cheval du milieu n’a pas de traits.
  6. Krasnoë-Kabak veut dire le cabaret rouge, peut-être la maison a-t-elle été rouge primitivement ; mais krasnoë, rouge, emporte avec soi, en russe, une idée de beauté : krasnoë kriltso, le perron rouge, au palais du Kreml, à Moscou, n’est nullement de cette couleur, mais c’est un des beaux détails du palais.
  7. Somovar, que l’on prononce samavar, est la bouilloire russe, c’est un vase au milieu duquel se trouve un cylindre où l’on met du charbon allumé. Ces vases en cuivre brillant sont généralement d’une forme charmante ; on les trouve partout, même chez les plus pauvres paysans. Les plus estimés se font à Toula.
  8. Kvass, espèce de bière.
  9. Meod, hydromel.
  10. Tchorne khleb, pain fait avec de l’orge ; les paysans le préfèrent au pain blanc, et sur les meilleures tables ou en sert un petit morceau à chaque convive.
  11. À l’époque où parut la comète de Donati, 1859, je l’ai vue une fois, lors de son plus grand développement, apparaissant au nord-nord-est de Saint-Pétersbourg, sillonnée par des bolides qui, s’élançant de l’ouest vers l’est, semblaient la couvrir d’une grêle de projectiles silencieux.
  12. Dans la rue des Officiers, Ofitzierkaya oulitza, il y a un traktir de bas étage qui, voulant une enseigne française, a écrit sur sa porte trakteur.
  13. La Sennaïa, le marché au foin ; son équivalent serait la halle à Paris. C’est une vaste place où se trouvent des appentis de bois pour les marchands ; on y dresse également des tentes en toile, pendant les grands marchés de l’hiver, les poissons de petites dimensions sont disposés en vastes amas à l’air libre. Les paysans venus de petite distance ne déchargent pas leurs traîneaux qui leur servent de boutique.
  14. Le Gostinoï-Dvor est un vaste bazar situé sur la perspective Nevsky.
  15. On commence à se relâcher sur ce point.
  16. Pendant la messe les portes s’ouvrent et se ferment plusieurs fois ; elles se ferment notamment au moment de la consécration.
  17. Ces tapis appartiennent de droit à l’église.
  18. Réaumur ; 6° 2/10e cent.
  19. Quelque temps qu’il fasse, personne n’a ni surtout ni fourrures, et jusqu’à la fin de la cérémonie on reste tête nue.
  20. L’année auparavant, j’assistai à Tiflis à la même cérémonie. Il faisait douze degrés de chaleur, et la rivière, le Koura, était couverte de fidèles qui y entraient tout entiers, ou avec leurs chevaux, et les bords étaient littéralement assiégés de gens, hommes et femmes, qui venaient puiser cette eau dans tous les vases possibles. On m’a assuré, je ne l’ai pas vu, que dans les campagnes les paysans font un trou dans la glace pour se plonger dans cette eau nouvellement bénite.
  21. Elle se compose de deux cents hommes du Caucase ; vingt-cinq Géorgiens, vingt-cinq Lesghiens, vingt-cinq hommes du Daghestan, et autant de la province d’Erivan, plus cent Cosaques à la tunique écarlate. Chaque peloton de vingt-cinq hommes porte le riche costume du pays auquel il appartient, et l’on remarque surtout le peloton revêtu de la cotte de mailles et du casque. Lorsque je vis ces magnifiques escadrons, les vingt-cinq Géorgiens étaient tous princes, knias.
  22. C’est le nom de la salle où se donnent les grandes fêtes. Elle est revêtue de stuc blanc, et toute l’ornementation est dorée.
  23. La polonaise est plutôt une promenade qu’une danse à laquelle presque tout le monde prend part.
  24. Ce nom provient d’un portrait équestre de l’empereur Nicolas Ier, qui orne ce salon.
  25. Le carême commence le lundi dans le rite grec.