Vers libres par Raymond Radiguet/Texte entier

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Vers libres par Raymond Radiguet
Vers libresAu panier fleuri (p. 7-31).

NOTE

Les vers qui suivent ont été écrits par Raymond Radiguet entre 1919 et 1921, c’est-à-dire entre seize et dix-huit ans. Les Fiancés de treize ans est le seul de ces poèmes qui ait paru ; il a été publié en 1922 dans une revue. M. Maurice Martin du Gard a cité dans un article sur Radiguet, publié aux Nouvelles Littéraires le quatrain qui commence ainsi :

Usée elle comme un vieux sou

Nous donnons le texte de ces quelques pièces, tel qu’il figure sur les papiers laissés par Radiguet. Cette précision n’est peut-être pas inutile : pourrait-on assurer que le Bal du Comte d’Orgel n’a pas été revu et corrigé par des gens obligeants, auxquels Radiguet n’avait sans doute pas demandé qu’ils lui fissent la toilette des morts ?

VERS LIBRES

CHAT PERCHÉ

Au ciel des plages, Virginie,
Ombres d’où je t’ai vu sortir,
Le zéphyr, la brise d’été
Apportaient l’odeur de peau nue
Que fleurait ta virginité.

Hymen, par Paul jamais troué
(Ce sont les tickets de l’amour
Comme d’autres, pour le métro)
J’enfonçais ma dague rougie


Dans un rêve où tu figurais
Entre une ruche d’écolières
Aux cheveux en nattes tressés.
La châtaine ainsi que la brune

Non contentes d’une bougie
Cherchaient à prendre en leurs filets
Un lycéen couleur de lune
Qui enseignerait à chacune

L’art d’agacer le chat perché
Dans la niche où il s’est caché.

CHAMPIGNY

Champigny, grâces canotières —
L’amour taquinant le goujon
Dissimulait entre les joncs
Quelques cœurs et une chaumière.

La chaumière où je t’ai connue
Marie que je n’aimais que nue,
C’était aussi à Champigny
Les parapluies en champignons
Poussaient d’un coup sur l’avenue.


Mais moi, pensant à la cueillette,
Je plantais dans ton sexe herbu
Un cèpe sur lequel tu bus
La rosée de l’aube défaite.

Orages du cœur, dont vainqueur
Il conviendrait que je sortisse
Vos échos en moi retentissent
Lorsque nous sommes cœur à cœur.

USÉE

Usée elle comme un vieux sou
Que pour porter bonheur l’on troue
Pour distinguer face de pile
Il convient de n’être pas soûl

Pile, fesses endolories
Par le dur pilon des amants
Face, avers d’un envers charmant
Qui semble buisson ou prairie,


Ce sont par l’amour arrosés
Les seuls domaines où la pine
Puisse s’amuser à pampine
Les décrets hélas ! de Vénus

N’ayant rien d’autre autorisé.

SAISON

Bilboquet dont je suis la tige
Sur laquelle est tombé ton corps,
Je comprends bien qu’un jeu pareil
Puisse te donner le vertige !

Aussi afin de satisfaire
Les désirs que loges en toi —
L’amour ne les veut qu’à l’étroit —
Rends-moi mignonne la pareille


C’est à ma tige alors de faire
Les doux mouvements de recul
Capables d’émouvoir ton cul
Mais non ta coquille d’amour

Puisque le sang rosit encor
L’entrecuisse où tu me préfères.

LES FIANCÉS DE TREIZE ANS

Avec la pointe du canif
(Il ouvre non moins aisément
La coquille chère aux amants
Qu’un nom s’imprime en l’arbrisseau

Ou l’amour dans les cœurs naïfs)
Avec la pointe du canif
Aiderons-nous Vénus à naître ?
L’oursin du désir se hérisse.


À quoi servira ce trousseau,
De Vénus naïve nourrice ?
Débordante, écume, de lait
Par toi comme plages ourlé :

Nulle robe ne peut soumettre
Celle qui, puérile nue,
Dans un coquillage vécut
En attendant le jour de naître.

Rendez-vous au prochain été.
Patience ! la mer nous attend…
Au bout de cette année scolaire
Les replis de sa vaste ombrelle

Sauront nos amours abriter
De la maternelle colère.
Mais toi tu nous comprends, Vénus,
Chère folle, toi qui déjeunes


De soleil et de lune dînes,
Mis à l’école des ondines
On nous apprend à rester jeunes,
À nous qui voudrions vieillir !

À la dînette de la vie
À peine mis notre couvert,
Peureuse d’être découverts
Par la nourrice de son frère

(De sa mère le préféré :
Dernier venu c’est le premier,
Aussi bien tu le sais, Vénus)
Comme oursin peureux se hérisse

La naïve à qui l’on défend
De mettre un pantalon ouvert.
— Tu vas me trouver bien enfant,
Ondine, si je te demande


De me prêter un des canifs
Qui semblent furtives sardines
Ouvrant le fruit des mers gourmandes.
En échange de ton canif

D’argent, ondine, je dédie
À tes sœurs et à toi l’écorce
Dont je ne sus venir à bout,
Assis, couché ou bien debout,
Trahi par mes naïves forces.


Pourpre ciel entrouvert ! Grenade.


En bon conseil puisque tu daignes
Aphrodite me faire faire
Le grand tour du propriétaire
Vénus parmi les promenades


En tricycle dans tes domaines
Que la mer rouge ne te teigne,
La douleur en une grenade
Changeant la naïve châtaigne.

LE PETIT JOURNAL

I


Hortense et Marguerite, vos cahiers d’écolières
Tachés d’encre qu’ils sont disent trop vos soucis
Au lieu d’écrire à Paul et de regarder Pierre
Il vaut mieux d’effacer les pâtés que voici.

II


Un rai de soleil entrait par les jalousies.
Hortense pressait Marguerite contre son sein ;
Le journal raconte l’histoire d’un assassin
Qui violait les fillettes aux joues cramoisies.

Le gazon tâché d’un sperme inefficace
De l’odieux bandit dénonce les exploits ;
Hortense et Marguerite sont aux abois
Devant le satyre, à la sortie de la classe.

III


Les deux enfants reposent exsangues, défaites
Sous les plis de la cotonnade des rideaux,
Croque-morts, ménagez votre précieux fardeau !
Amour, Amour, voilà bien de tes conquêtes !

ÉBAUCHES

En jupe-culottes
Un soir à Joinville
Vénus la salope
M’a sucé la bite

Son joli chignon
En papier doré
Me faisait bander
Comme un cuirassier


Puis nous nous branlâmes
Le con et la trique
Attendant un tram
Pour la République

II

CINÉMATOGRAPHE

Pour les bons élèves seulement. Les cancres copieront vingt fois Larive et Fleury ; à la même minute le général Dourakine fesse une fillette insupportable. Le général est congestionné ; tout à coup sa culotte crève, l’écran se brouille et l’on découvre la petite fille en train de s’essuyer où l’on pense, derrière une haie de fusains.