Voyage dans l’île de Bornéo/02

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VOYAGE SUR LA RIVIÈRE KAHAYAN,

PAR LE Dr C. A. L. M. SCHWANER[1].
TRADUCTION INÉDITE.


I
Traversée du delta entre Banjermasing et le Kahayan. — Aspect du fleuve et de ses bords. — Légende de l’éléphant et du porc-épic.

Le 31 octobre 1847, je quittai Palingkau avec le tomonggong (chef), Djaja-Negara, qui m’avait spontanément offert de m’accompagner. Nous avions vingt Dayaks de Poulou-Petak pour ramer sur nos deux barques pendant tout le voyage. Nous descendîmes le Mouroung, jusqu’au confluent du Troussan, ou nous arrivâmes le 1er novembre. Sur la rive gauche de cette rivière est situé le kampong (hameau) de Papallas : ou n’y voit que cinq misérables huttes qui témoignent de l’indifférence des habitants de cette triste contrée pour les logements tolérables. Petites et basses, elles sont perchées sur des poteaux minces et chancelants, de dix pieds de haut.

Le Troussan, sorte de canal naturel entre les fleuves Mouroung et Kahayan, traverse de vastes marécages d’où coulent une multitude de ruisseaux qui sont pour la plupart reliés entre eux par des tranchées et lui apportent leurs eaux noires. À peu de distance, à l’ouest de Papallas, le Troussan se divise en deux branches ; celle du nord est la plus ancienne ; celle du sud a été creusée par la main de l’homme, après que l’autre, obstruée par le limon et des troncs d’arbres, fut devenue impraticable aux navigateurs. À son embouchure orientale, le fleuve a soixante-dix pieds de large ; mais à mesure qu’on avance vers l’ouest, il devient plus étroit, moins profond et d’une navigation plus difficile, par suite de l’abondance des plantes aquatiques ; les plus petites embarcations touchent le fond, lors du reflux, et surtout pendant la mousson orientale ; il faut souvent attendre le flux pour continuer le voyage vers le Kahayan. Il serait à souhaiter qu’on élargit et creusât ce canal : on serait aidé dans cette entreprise par le courant lui-même. Cette contrée marécageuse n’est propre qu’à la culture du riz.

Le 2 novembre, vers midi, nous atteignîmes le Kahayan. Près du confluent, sur la rive nord du Troussan, s’élèvent, à l’ombre de quelques palmiers, deux petites maisons où les voyageurs déposent en passant des offrandes de riz, de tabac et des morceaux d’assiettes cassées, pour apaiser les mauvais esprits. Les bords du fleuve sont élevés, et le pays voisin est à l’abri des inondations ; mais l’intérieur des terres est plus bas et presque entièrement couvert de marais.

Nous rencontrâmes quelques familles de Niadjous ou Biadjous qui chassaient aux buffles sauvages. Ils avaient dépouillé de ses arbres et de ses broussailles une grande étendue de bois, qu’ils avaient ensuite entourée de palissades, en y laissant de larges ouvertures. Au milieu de la grande enceinte était un petit enclos, pourvu de trappes, et où venaient se livrer d’eux-mêmes les buffles sauvages attirés par des animaux de leur espèce dressés à cet effet. Là, on les attachait avec des cordes de rotangs ou joncs du pays, et on les domptait au moyen d’un anneau qu’on leur passait dans les narines. Dans le cours de l’année, les chasseurs avaient déjà pris, de cette manière, plus de soixante-quatre buffles sauvages.

Femmes dayakes, tribu des Biadjous. — Dessin de Boulanger d'après l’Atlas iconographique des colonies néerlandaises.

En remontant le Kahayan, nous passâmes devant Tjouking-Pamali, lieu hanté, dit-on, par les mauvais esprits. Aussi les indigènes se gardent-ils bien d’y couper du bois ou d’y cueillir des fruits, de peur que la perte de leur raison ne soit le châtiment du sacrilége. Ce n’est pas seulement sur les bords de ce fleuve qu’on trouve des espaces de terrains semblables consacrés par la superstition ; il y en a aussi le long des autres rivières et dans l’intérieur des terres, où l’on peut les reconnaître à la présence des palmiers nibongs, qui croissent rarement ailleurs que sur les côtes de la mer. L’un de ces esprits, disent les traditions locales, ayant voulu, pour se récréer, former une cascade dans le fleuve, y jeta une grande quantité de pierres ; mais il ne put réussir dans son dessein, et toutes ces pierres n’ont produit qu’une forte fluctuation lors des basses eaux, sans empêcher la navigation.

Parmi les innombrables ruisseaux tributaires du Kahayan inférieur, le seul qui mérite d’être cité est le Randan, sur les rives duquel on prétend que demeurait autrefois Andin-Poulou-Bandan, le fameux héros des Niadjous.

Le 4 novembre, j’arrivai au kampong (village) de Boundai, où réside Raden-Singa-Pati, chef supérieur du district du bas Kabayan, qui s’étend depuis le kampong de Pilang jusqu’à l’embouchure du fleuve. J’eus le regret d’apprendre qu’il était absent ; je ne trouvai pas non plus son lieutenant. Je l’attendis vainement toute une journée à Gohong, où demeurait autrefois un missionnaire, qui fut forcé de quitter le pays à la suite d’une émeute des habitants. Ce kampong est peut-être le plus joli du district ; il est propre et bien entretenu. Je n’en puis dire autant d’une foule d’autres petits hameaux, devant lesquels nous avions passé les jours précédents. Élevés temporairement en vue de la culture du riz, et destinés à être abandonnés aussitôt que la fertilité des champs voisins diminue, la plupart sont bâtis avec peu de soin et ne se composent souvent que de deux ou trois huttes. Les bois du pays sont d’ailleurs spongieux et pourrissent vite. En plusieurs endroits, je trouvai quelques plantations d’arbres fruitiers ; ce sont les signes les plus certains de l’ancienneté d’une colonisation ; mais les habitations, qu’elles entouraient autre fois, n’existaient plus.

Pendant la mousson occidentale, le flux se fait régulièrement sentir jusqu’à Pilang, à dix myriamètres de la mer. Ce kampong forme la limite des districts de Kahayan-ilir et de Kahayan-tengah (bas et moyen Kahayan). Le premier compte deux mille quatre cents habitants ; il comprend une quarantaine de villages, dont la population varie de quatorze à deux cent vingt-quatre âmes, et qui sont tous situés sur les rives du fleuve et de ses principaux affluents. L’intérieur du pays est une immense plaine marécageuse et inhabitable, qui peut être considérée comme la continuation des marécages du Barito et du Kapouas-Mouroung.

J’entrai dans le district de Kahayan-tengah, le 7 novembre. L’aspect de la contrée y est tout différent. Tandis que plus bas les berges du fleuve ont une certaine élévation, ici elles sont au niveau des eaux du fleuve qui les inondent lors des crues, et le sol reste submergé pendant la plus grande partie de l’année ; aussi n’est-il ni habitable ni approprié à la culture. On a bien entrepris de cultiver le riz en quelques endroits que jamais l’eau ne couvre, mais ces essais ont si mal réussi qu’il a fallu y renoncer : chaque année la paille et les épis étaient rongés par un insecte de l’espèce des rhyncophori.

Déjà dans les stations précédentes, j’avais eu beaucoup de peine à trouver des guides expérimentés. À Gohong, les ordres écrits du résident (ou gouverneur hollandais) de Banjermasing avaient été sans effet. Quand je les exhibai à Bareng-Batarap, on ne se montra pas plus empressé, et je ne persuadai à un vieux Niadjon de m’accompagner qu’en lui promettant une forte rétribution.

Sur la rive droite du Kahayan, nous trouvâmes le canal de Nousa, qui coupe plusieurs grandes sinuosités du fleuve et abrége beaucoup le chemin. Il serait d’une grande utilité aux voyageurs s’il était assez profond et assez large pour donner passage aux grandes embarcations ; mais, quoique considérable à l’embouchure, il se rétrécit bientôt, et de plus il est tellement encombré de bois flottants, que les barques mêmes ne le peuvent traverser.

Dans l’impossibilité de trouver une habitation humaine, nous fûmes réduits à coucher sous les arbres de la rive. Heureusement la nuit était resplendissante d’étoiles. Éveillés par le chant des oiseaux, nous nous levâmes de bon matin pour continuer notre voyage.

Les bords du fleuve étaient encore plus bas que la veille, et en plusieurs endroits disparaissaient même entièrement sous les eaux qui couvraient le pays ; la direction n’en était marquée que par des tiges flottantes. Le Kahayan devient insensiblement plus tortueux que dans son cours inférieur, et ses plis et replis continuels en font un vrai labyrinthe. L’une des courbes que nous eûmes à suivre s’appelle Rantau-Gadjah-Moundor (sinuosité de l’Éléphant retourné, c’est-à-dire renvoyé en arrière). Cette dénomination est d’autant plus singulière, que cet animal ne se trouve pas dans l’île et est inconnu à la plupart des habitants. Peut-être est-ce un souvenir de quelque événement historique, par exemple, de la défaite d’un de ces chefs hindous qui possédaient autrefois une partie de Bornéo et employaient à la guerre des éléphants. Quoi qu’il en soit, voici ce que rapportent, à ce sujet les traditions du pays :

« Il y a bien des années, un éléphant, venu d’outre-mer, remonta le Kahayan afin de livrer combat aux animaux de l’île. Pour leur donner une idée de sa grosseur et de sa force et les effrayer d’avance, il remit une de ses défenses au messager qui leur portait son défi. Les animaux, en effet, remplis de terreur à la vue de la terrible dent, allaient reconnaître la supériorité de l’éléphant, lorsque le porc-épic vint les tirer d’embarras. Il les engagea à accepter le défi et à envoyer un de ses piquants à l’ennemi commun, afin qu’il pût juger de la puissance de l’animal qui avait de pareils poils. Trompé par cet artifice, l’agresseur n’osa pas attendre son redoutable adversaire, et s’en retourna tout honteux[2]. »

Le 9 novembre, je passai devant l’embouchure du Roungan. Cette rivière est bien aussi considérable que le fleuve dont elle est tributaire. Jusqu’au point de jonction, le Kahayan est navigable toute l’année pour les plus grands bâtiments de commerce, et le mouvement du flux et du reflux s’y fait sentir pendant la saison sèche ; mais au delà, il est sensiblement plus étroit, et n’a plus guère que cinquante pieds de large.


II
Visites à plusieurs kampongs. — Forteresse indigène. — Bandes de brigands.

Après avoir vogué quatre jours dans des forêts désertes, je remarquai que les bords du fleuve devenaient de plus en plus élevés ; je me retrouvai dans des pays cultivés, et j’abordai au kampong de Moura-Rawi, résidence du chef supérieur du moyen Kahayan, faible vieillard dont l’autorité n’est respectée (et encore médiocrement) que dans la partie supérieure de son district. Les ordres mêmes du résident hollandais de Banjermasing n’y sont exécutés qu’autant qu’ils sont conformes à l’intérêt ou au bon plaisir des indigènes. C’est que le souvenir de l’expédition hollandaise, qui avait eu lieu une vingtaine d’années auparavant, y est effacé. Depuis on n’y avait vu d’autres Européens que des missionnaires et des naturalistes ; aucun d’eux même n’avait été au delà du kampong de Tawan-Kali (1°26’de latitude méridionale). J’étais le premier qui eût dépassé cette limite. Il est interdit aux Chinois et aux riverains du Bandjer ou Barito d’aller commercer plus haut que le kampong de Pilang, ce qui contribue à maintenir l’indépendance des districts du moyen et du haut Kahayan.

Intérieur d’un kampong ou village dayak. — Dessin de Français d’après Schwaner.

Le kampong de Moura-Rawi est en décadence. Beaucoup de ses habitants, découragés par une série de mauvaises récoltes de riz, se sont établis sur les bords de la rivière voisine, le Roungan. La population n’est plus que de deux cent dix âmes. L’enceinte de palissades est à demi tombée ; plusieurs maisons ont été abandonnées et quelques autres sont en ruines ; les nombreuses idoles dont elles sont entourées et la quantité de palmiers à cocos qui ombragent le kampong attestent seules dans quel état florissant était autrefois ce chef-lieu. Les pieux qui supportent les maisons sont encore plus hauts que dans le district inférieur. Les parois sont en écorce d’arbre ou en treillage de bambou, et les toits sont couverts d’une herbe si durable qu’ils n’ont besoin de réparation que tous les dix à quinze ans.

L’intérieur des maisons est sale et noir, la fumée n’ayant d’autre issue que les portes ou les ouvertures horizontales pratiquées dans les murs en guise de fenêtres. La distribution des appartements est fort peu régulière. Cependant l’habitude est qu’il y ait, au centre, une grande salle, et alentour divers cabinets séparés par des cloisons décorées, des treillages de bambou, ou bien des planches ornées d’assez jolies arabesques et de guirlandes sculptées. Aux murs sont suspendus des ustensiles de ménage, des armes, des engins de pêche, des habits, des amulettes, etc.

Près du fleuve s’élèvent quelques balais, ou lieux de réunion communs à tous les habitants du kampong, et où se célèbrent des fêtes pendant le séjour des voyageurs. La plupart de ces édifices, beaucoup plus grands que les maisons particulières, sont d’ailleurs extrêmement simples ; ils ne consistent qu’en une longue salle ouverte, supportée par des pilotis d’environ quatre pieds de haut, et couverte d’un toit très-saillant. On trouve ordinairement près de là une petite forge, à l’usage de tous les habitants de la localité et même des étrangers.

Forges chez les Dayaks-Biadjous. — Dessin de Français d’après Schwaner.

Le lieu de débarquement est un petit radeau amarré au rivage, et d’où une échelle, faite d’un seul tronc d’arbre entaillé ou de plusieurs soliveaux, mène à un pavillon qui s’élève sur la rive et sert de gîte aux voyageurs. De là on se rend au kampong sur un chemin de planches établi à deux pieds au-dessus du sol, et divisé en autant de branches qu’il y a de maisons. Aussi les habitants peuvent-ils se visiter l’un l’autre à pied sec pendant les pluies ou les inondations. Ils élèvent divers espèces d’animaux domestiques : le buffle, le porc, la chèvre, les gallinacées, le chien et le chat. Leurs principales occupations sont la culture du riz, la récolte du rotin pendant la saison des pluies, et celle de plusieurs sortes de résines pendant la mousson sèche. Quelques-uns s’emploient au lavage de la poudre d’or que charrie le fleuve ; mais cette industrie est beaucoup moins lucrative ici que plus haut ; c’est à peine si une personne peut ramasser pour soixante cents (un franc trente) de paillettes par jour.

Le 13 novembre, j’arrivai au Kotta de Hanoa, le premier kampong fortifié en remontant la rivière. Il est entouré de pieux de bois de fer, hauts de trente pieds, au-dessus desquels passent de longues perches surmontées de calaos (oiseau rhinocéros) sculptés en bois, dont quelques-unes portent ou pressent de leurs serres des crânes humains. À l’intérieur de l’enceinte sont érigées une foule d’idoles. Les quatre corps de bâtiments qui composent la place sont à quinze pieds au-dessus du sol, infect et marécageux, et communiquent ensemble par des ponts de planches en très-mauvais état. Ces forteresses, peu nombreuses dans le district du moyen Kahayan, servent de refuge aux habitants des villages ouverts, qui les construisent et les entretiennent à frais communs.

Je rencontrai à Passa-Tegara le chef Radeu-Singa-Pati, dont j’ai déjà parlé. Sachant qu’il avait de l’influence en dehors même de son district et qu’il pourrait en user en ma faveur, je le priai de m’accompagner. Il accéda volontiers à ce désir ; c’est un des plus beaux Niadjous que j’aie jamais vus ; il a le teint clair et il est de haute stature, droit et bien fait ; sa physionomie exprime la douceur et la bonté.

À cinq heures, nous fûmes assaillis par un orage et une pluie qui dura la plus grande partie de la nuit. Le lendemain matin, nous ne pûmes partir qu’assez tard : il fallut attendre qu’un brouillard froid et épais fût dissipé.

Les rives commençaient à être plus accidentées et la contrée plus montueuse. Nous vîmes, sur la rive gauche, en face du labeho (sinuosité) Weringin, les premiers rochers, qui se composent de grès argileux. Les marais étaient plus rares le long du rivage, et nous rencontrions plus fréquemment des villages fortifiés, dont le nombre augmente à mesure qu’on pénètre plus avant dans les terres. Dans cette contrée, quelques forteresses placées de distance en distance suffisent à la sécurité des habitants ; mais plus haut, chaque maison est entourée de palissades.

Vue extérieure d’un kampong palissade. — Dessin de Français d’après Schwaner.

Le kampong de Tampang, où j’arrivai le 18 novembre, est incontestablement l’un des plus propres et des mieux entretenus qui soient situés sur le cours du Kahayan. Quoique sa population monte à cent vingt âmes, il ne se compose que d’un seul corps de bâtiment, long de trois cent soixante pieds, soutenu par des pieux de vingt pieds de haut, et entouré de palissades de même hauteur. Le plancher s’étend jusqu’à l’enceinte, et forme tout autour de la maison une galerie où sont érigées des idoles. Sous le bâtiment sont les granges. Devant et derrière sont deux larges cours, dépouillées d’herbe et très-propres.

Cette place est soumise à l’autorité du chef Awat, homme actif et intelligent, qui se montra fort bienveillant à mon égard, quoiqu’il fût assez mal disposé pour le gouvernement hollandais. La cause de son mécontentement était, me dit-il, que, malgré la régularité avec laquelle les riverains du haut Kahayan payaient tribut au résident, celui-ci avait toujours négligé de les protéger contre les dévastations de Sourapati, tomonggong (chef) des Siangs du fleuve Mouroung. Par suite, ces peuples avaient résolu de s’affranchir du tribut. Je justifiai le gouvernement, et je leur donnai l’assurance d’une protection plus efficace pour l’avenir : ils me promirent alors de ne pas se mutiner et de s’acquitter des redevances arriérées.

Ayant appris que le tomonggong Toundan, grand chef des Ot-Danoms et chef du haut Kahayan, à qui j’avais affaire, s’était transporté, avec une grande partie de sa famille, sur les bords du Kapouas-Mouroung pour y passer deux mois et demi, je me vis forcé d’entreprendre une excursion dans les terres pour l’aller trouver, voyage d’autant plus périlleux qu’il fallait traverser des contrées infestées par des Ngayaus, ou petites troupes de trois, cinq, parfois huit personnes, qui tombent à l’improviste dans les maisons de culture isolées, surprennent les personnes désarmées, leur coupent la tête, et s’enfuient dans les bois avec ces beaux trophées. Les Ngayaus n’épargnent ni l’âge ni le sexe ; et ce ne sont pas des brigands de profession, mais des gens d’ailleurs paisibles et rangés qui font ces odieuses expéditions ; il est vrai qu’ils attaquent ordinairement les membres d’une tribu avec laquelle la leur est en guerre ; mais souvent ils commettent ces hostilités sans autre motif que d’acquérir de la gloire, d’accomplir un vœu, d’honorer un parent décédé, ou de satisfaire leur goût pour le carnage. Ces expéditions et celles qu’ils nomment sarah’s, lesquelles sont aussi de vraies guerres, sont un grand obstacle à l’accroissement de la population et à la prospérité du pays[3]. Dans le cours de mes voyages, je m’efforçai avec Djaja-Negara, tomonggong de Palingkau, d’arrêter ces brigandages et d’amener les diverses tribus à conclure des traités ; mes efforts n’ont pas été sans succès : les belliqueux Pari du Koutei, par exemple, n’ont pas commis d’hostilités depuis 1847.


III

La rivière Koron. — Les lavages d’or. — Le fleuve Monrong.

Mes rameurs de Poulou-Petak étaient déjà effrayés des dangers auxquels nous allions nous exposer. Je m’efforçai de les rassurer en prenant toutes les précautions que la prudence exigeait. Nous passâmes un jour à mettre nos armes en bon état et à faire nos préparatifs, et le 19 novembre, à six heures du matin, nous partîmes de Tampang, laissant les meilleurs de nos prahous (embarcations) sous la garde du chef Awat. Après avoir remonté le Kahayan, jusqu’à l’embouchure du Koron, nous prîmes le chemin qui longe cette rivière. La voie de terre que je dus choisir à cause du nombre de mes compagnons et du volume de mes bagages, est plus courte mais plus pénible que la navigation sur le Koron. Elle coupe en divers endroits les nombreuses sinuosités de cette rivière, monte au commencement plusieurs pentes roides, et descend dans quelques vallées marécageuses, mais elle devient ensuite plus unie. Tout le pays est couvert de bois. Nous rencontrâmes sur notre route de petites caravanes de riverains du Kahayan, et nous arrivâmes à quatre heures de l’après-midi à l’endroit où la rivière cesse d’être navigable, même pour les petites pirogues. Exténués de fatigue, nous prîmes le parti d’y passer la nuit dans les ruines d’une forteresse dont les habitants avaient été massacrés quelques années auparavant par une tribu ennemie. Les quelques loges délabrées qui subsistaient, abritaient un grand nombre de prahous appartenant à des riverains du Kahayan. Avant de nous coucher, nous eûmes soin de boucher les trous du toit, pour nous garantir de la pluie, et de charger nos armes, afin d’être en mesure de nous défendre contre toute surprise.

La nuit ne fut troublée par aucune alarme. Les nuages ne tardèrent pas à se dissiper et à faire place à un beau clair de lune. Le profond silence n’était interrompu que par le cri mélancolique du hibou et par un léger clapotement des vagues.

Nous continuâmes notre voyage le long du Koron, jusqu’au pied du mont Aubon, qui s’élève de plusieurs centaines de mètres au-dessus du niveau de la mer. La chaîne de collines, dont il fait partie, forme la limite des bassins du Cahayan et du Kapouas-Mouroung. Notre route nous conduisit bientôt, des solitudes de la forêt, vers les coteaux cultivés du Kampong-Sakkoi (30 novembre).

Une des principales industries des indigènes est le lavage de l’or, qui est assez abondant pour que le gain d’un travailleur puisse être d’un à deux florins (deux à quatre francs) par jour. Les gisements de sable aurifère, épais d’un demi à deux pieds, sont recouverts d’une couche de glaise jaune, qui n’a pas plus de quatre à huit ou dix pieds de profondeur. Ce sont les hommes qui tirent le minerai, et les femmes qui le lavent dans quelque rivière des environs ; ils n’exploitent les mines que dans le voisinage des cours d’eau, car ils n’ont pas la moindre idée de l’hydraulique. Ils ignorent également l’art d’étayer les puits et les excavations ; aussi n’est-il pas rare que des travailleurs périssent dans les éboulements. Un accident de ce genre avait eu lieu quelques jours auparavant, et le pamati avait, en conséquence, été proclamé au kampong de Sakkoi, c’est-à-dire que les étrangers en étaient exclus pour un certain temps. Lorsque j’eus fait annoncer mon arrivée aux habitants, quelques-uns d’entre eux vinrent au-devant de moi pour me notifier la prohibition, mais je leur fis comprendre que cette défense ne s’appliquait pas à un orang wolanda (homme hollandais) ; ils me laissèrent donc facilement entrer, et je leur donnai, pour prix de leur complaisance, des verroteries et quelques rouleaux de tabac. Les habitants m’examinèrent avec curiosité, et leurs femmes n’avaient pas l’air d’avoir peur. Ils occupaient autrefois les régions montueuses où le Kahayan prend sa source, mais ils durent quitter ce pays à cause des fréquentes expéditions des Ngayaus. La population de Sakkoi, qui appartient à la race des Ot-Danoms, s’élève à cinq cents âmes.

Le 21 novembre, après une terrible nuit d’orage, nous nous mîmes en route pour Tomourongoi. Cette journée fut encore plus fatigante qu’aucune des précédentes. Nous eûmes à gravir de hautes montagnes, dont la plus considérable, le Riwout, n’a pas moins de quatre cents mètres au-dessus de la plaine. Dans les vallées, il fallut traverser plusieurs grands marécages sur des troncs d’arbres flottants ou fixes, et quand ces moyens nous manquaient, nous étions forcés d’entrer dans l’eau jusqu’à la poitrine, et de patauger dans la boue jusqu’à la rive opposée. Plus loin, nous rencontrâmes plusieurs rivières, gonflées par les pluies, et que nous ne pûmes traverser qu’au péril de notre vie.

À trois heures de l’après-midi, j’atteignis à Toumbang-Mohing le fleuve Kapouas-Mouroung, qui, en cet endroit, est moins large que le Kahayan à son confluent avec le Koron. Je me disposais à envoyer mon compagnon de voyage, Djaja-Negara, annoncer mon arrivée au tomonggong Toundan, le riche et redoutable grand chef des Ot-Danoms, lorsque ce personnage vint lui-même me prendre pour m’emmener à Toumourongoi. Après les salutations habituelles, nous nous embarquâmes dans un grand prahou et nous remontâmes le fleuve.

Toundan est un robuste petit homme d’un certain âge ; ses traits prononcés ont une expression d’énergie, de circonspection, de ruse ; il n’a d’ailleurs rien d’imposant et il est très-malpropre. Un grand nombre de lameang (cornalines) et cinq croissants d’or massif lui pendent sur la poitrine ; il est également tatoué et porte des bracelets de laiton tournés en spirale. Ses cheveux non peignés et ébouriffés sont enfermés dans un mouchoir sale. Il n’a pas d’autre vêtement qu’un pagne passé autour des lombes. À l’occasion de mon arrivée, il mit pourtant une jaquette râpée de laine noire.

Le but de son voyage à Toumourongoi était de recouvrer d’anciennes créances et d’emmener quelques-unes de ses parentes, femmes de Sourapati, son ennemi juré, qui s’étaient enfuies pour se soustraire à ses mauvais traitements. Il était sur le point de s’en retourner, lorsque arriva une ambassade du tomonggong Karta-Negara de Tatalohong, pour négocier un traité d’amitié. Cette circonstance retarda le départ de Toundan. Il était assez disposé à conclure une alliance avec le chef siang, contre lequel il avait peu de griefs. C’était principalement Sourapati et son neveu Mandir-Anom, qui s’étaient attirés la haine des Ot-Danoms, par les hostilités qu’ils exerçaient dans le pays. Quelques-uns des envoyés donnaient à entendre que ces deux chefs n’étaient pas éloignés d’accéder à la proposition dont Karta-Negara prenait la louable initiative. Mais avant de rien décider, le tomonggong Toundan voulait d’abord consulter les Ot-Danoms, qui brûlaient du désir de se venger : c’est pourquoi il avait convoqué à Toumourongoi les délégués des divers kampongs.

Le même jour arrivèrent les députés des Sirats, la tribu la plus animée contre les Siangs. L’orateur du kampong de Mebiak, personnage fameux par sa bravoure, et qui passe pour avoir abattu cent quinze hommes de sa propre main, se rendit vers les ambassadeurs, qui s’étaient retirés dans la maison qu’on leur avait assignée. Alarmés de son apparition inopinée, les Siangs prirent leurs armes pour se jeter sur lui. Calme et intrépide, il s’avança au milieu d’eux, déclara qu’il acceptait le défi et les excita à engager le combat, « s’ils étaient vraiment des hommes ! » On en serait venu aux prises, si Toundan ne s’était jeté entre les deux partis et ne les eût apaisés. Cet incident et d’autres faits que j’eus occasion de remarquer me portèrent à croire que les négociations n’aboutiraient pas. Peut-être le traité n’était-il qu’un prétexte et les envoyés n’avaient-ils d’autre but que de s’informer de la retraite des femmes fugitives, ou de sonder les sentiments des Ot-Damons. Ils avaient cependant amené une esclave (batang orang, corps humain), pour être immolée aux mânes des Ot-Danoms, massacrés par les Siangs.

Comme les négociations pouvaient traîner en longueur et que mon dessein n’était pas de rester longtemps à Toumourongoi, je fis part à Toondan du but de mon voyage ; je lui dis que je désirais lui parler à son kampong sur le Kahayan, et j’insistai pour qu’il y retournât sous peu. Il me demanda un délai de huit jours, afin de réunir et de consulter les chefs des kampongs du Kapouas-Mouroung supérieur. J’y consentis, mais je résolus de partir dès le lendemain.

En attendant, j’acceptai avec plaisir l’offre que me fit le chef, de me mener voir ses femmes. Je les trouvai belles, jeunes, avenantes et bien faites. Bien que sans voile aucun sur leur buste de bronze, elles ne parurent embarrassées ni de mon arrivée, ni de ma présence, et nous eûmes une conversation amicale et animée. Je vis par la même occasion les trois femmes fugitives de Sourapati, qui étaient amaigries et défaites, sans doute par suite des privations qu’elles avaient endurées pendant leur hégire.


IV

Continuation de voyage. — Le mont Ambon. — Fête en l’honneur du premier blanc venu en ce pays. — La femme chef. — Le chef Awat et ses superstitions.

Le 23 novembre, à huit heures, je repartis pour Tampang par la même route que j’avais suivie en venant. Comme il n’avait pas plu depuis quelques jours, le chemin était plus sec et la rivière avait beaucoup baissé. Je trouvai de nouveau la réception la plus amicale à Sakkoi, où l’on me fit un présent de fruits et de diverses racines mangeables. Mon petit épagneul à longs poils devint le favori des femmes, qui le caressaient et l’embrassaient comme un enfant. Les unes le prenaient pour un veau, les autres pour un cabri, et elles ne crurent que c’était un chien, qu’après que je leur en eus donné maintes fois l’assurance. Les habitants de ce kampong sont d’humeur très-pacifique : ils ne font pas d’expéditions dans le but de couper des têtes, et la coutume barbare d’immoler des prisonniers est moins en honneur chez eux que chez les autres peuples de leur race.

Fête donnée au premier blanc venu chez les Biadjous. — Dessin de Lançon d’après Schwaner.

Le lendemain matin, à sept heures, je me remis en route au bruit des salves tirées par mes amis de Sakkoi ; petits et grands étaient assemblés sur le parapet ou au pied des fortifications, et j’étais déjà loin, qu’ils me souhaitaient encore un bon voyage.

An sommet du mont Ambon, on me fit remarquer un arbre résineux, que les indigènes regardent comme sacré. La grosse boule de résine qui s’est formée au haut du tronc sert d’oracle aux voyageurs, et elle est hérissée de centaines de flèches. Celui qui trois fois manque ce but, est voué à la pauvreté et au malheur ; l’archer heureux ou adroit a au contraire la perspective de devenir riche. Conformément à l’usage, j’interrogeai aussi l’oracle, et je fis passer deux balles à travers la boule.

À Tampang, j’eus la satisfaction de retrouver mes compagnons en bonne santé et mes bagages en bon état. Le chef Awat résolut de me donner une fête pour témoigner sa joie de mon heureux retour. Les abondantes libations de touwak firent promptement leur effet, et, vers midi, la plupart des assistants étaient ivres. Six bilians (espèce de bayadères) conduites par un bazir ou prêtre, vinrent chanter mes louanges au son du katampang, dont frappait leur chef. Ce bazir, qui est à peu près vêtu de la même manière que les bilians, forme une louable exception parmi les personnes de son état : car il n’est vicieux qu’à demi, et ne songe qu’à parer comme des poupées la troupe féminine qu’il dirige[4].

Quelques jours après, Awat m’engagea à donner un sakki, c’est-à-dire à payer une certaine somme, afin que le peuple fêtât ma bienvenue ; comme j’étais le premier blanc qui eût remonté si haut le Kahayan, et que cette coutume oblige grands et petits, je sacrifiai volontiers une somme de cinquante florins (deux cent sept francs). Les chefs des environs et les étrangers, qui se trouvaient au kampong, furent invités à la solennité, et le lendemain, dès le matin, on saigna un gros porc, dont le sang fut porté en oblation aux hantous, esprits qui hantent les terrains cultivés et les mines d’or. Les indigènes en gardèrent une partie pour s’en barbouiller le corps, en se souhaitant réciproquement toutes sortes de prospérités. D’habitude, c’est celui qui donne la fête qui rend ce service aux convives masculins et féminins ; pour moi, on m’en dispensa, mais je dus me laisser oindre de sang la poitrine, tandis que les chefs faisaient des vœux en ma faveur. Après le festin, je me rendis au milieu de l’assemblée, à la grande joie des assistants. Les bilians, rangées sur un banc d’un côté de la salle, chantaient les louanges des convives les plus notables, qui étaient assis en face sur des gongs ou timbales de cuivre. Les coupes circulaient à la ronde et l’ivresse ne tarda pas à être générale, ce qui donna lieu à bien des scènes ridicules, surtout de la part des femmes.

Le Ier décembre, je me transportai, avec toute ma suite, au balai tomoi (maison des voyageurs), situé il quelque distance au nord de Tampang. C’est là que les marchands attendent des jours, quelquefois des semaines et des mois entiers, l’occasion favorable de passer le labeho Tampang, obstrué de rochers et formant un redoutable tourbillon, qu’il est impossible de franchir par les grandes eaux. Ce labeho (gouffre, sinuosité) est situé sur la limite septentrionale du district du moyen Kahayan, qui comprend quatre-vingt-deux kampongs et quatre mille huit cent quarante-cinq habitants. En amont de ce point, la contrée est constamment montueuse.

Le niveau de la rivière ayant rapidement baissé, nous pûmes dès le lendemain continuer notre voyage jusqu’à l’embouchure du Mendjangan, où nous fûmes forcés de nous arrêter, parce que le fleuve était en crue ; mais pendant la nuit, il descendit d’au moins huit pieds. Le 3 décembre, nous remontâmes jusqu’à Déwa, et nous vîmes dans le trajet de charmants paysages, des plaines fertiles et bien cultivées, alternant avec des collines boisées.

Niai Balau, femme Raden, chef de Déwa, passe dans tout le pays pour une femme aussi énergique qu’intelligente. Quoique déjà avancée en âge, elle est encore dans toute sa force ; sa manière de se vêtir et ses mouvements témoignent encore d’une coquetterie juvénile. Elle a donné des preuves d’un courage viril : une fois que les Pari attaquaient le kampong, et que les hommes prenaient la fuite, elle ceignit l’épée et contraignit les fuyards à tenir tête à l’ennemi et à remporter la victoire. C’est elle qui exerce l’autorité à Déwa. Étant venue me rendre visite, avec plusieurs autres femmes de qualité, elle me raconta avec beaucoup de modestie diverses aventures de sa vie active et agitée. Elle fut ravie du cadeau que je lui fis de quelques mètres de coton teint, et elle savoura avec ses compagnes le brandevin que je leur offris. Nous nous séparâmes en faisant réciproquement des vœux sincères pour notre bonheur.

Lors de mon départ de Déwa, le 4 novembre, le chef Awat me quitta pour retourner à son kampong. Mais auparavant il obtint, à force d’instances, que je misse une empreinte de mon sceau officiel sur de la cire rouge qu’il avait étendue à la surface de son épée. Il voulait par là montrer à tous qu’il était le fidèle sujet du gouvernement hollandais. L’arme ainsi consacrée ne devait plus être teinte à l’avenir du sang des captifs sans défense : son possesseur devait la ménager pour de plus nobles exploits, et ne la brandir que contre les perturbateurs de l’ordre et de la paix générale.

Mais s’il m’avait suffi de quelques exhortations sérieuses pour amener Awat à des sentiments plus humains et détruire ses préventions à l’égard du gouvernement néerlandais, il n’était pas si facile de lui faire abandonner ses préjugés religieux. En vue de s’attirer richesse et prospérité, il avait attaché à son ceinturon, avec quantité d’autres amulettes, un morceau de bois sur lequel j’avais dessiné au crayon une figure de poupée. À son retour à Tampang, il se proposait de sacrifier un coq aux esprits régulateurs des destinées humaines, afin de tremper dans le sang le nouveau talisman.

Awat était vraiment ému lorsqu’il me fit ses adieux, après avoir reçu un pavillon hollandais. La place qu’il laissait vide dans mon prahou fut prise par Raden, mari de Niai-Balau. Comme nous avions plusieurs cataractes difficiles à franchir, ce chef eut la bienveillante attention d’augmenter mon équipage de vingt hommes qui devaient donner un coup de main à mes rameurs, dans les endroits les plus rapides et les plus dangereux.

Je m’arrêtai à Rotta-Ménangeh pour y passer la nuit, du 4 au 5 décembre, pendant que Raden continuait le voyage pour aller annoncer mon arrivée au tomonggong Toundan. Ce dernier a établi sa demeure sur la cime arrondie du Pohon-Batou, mont escarpé qui n’est accessible que du côté du nord-ouest. Il fallut franchir plusieurs grandes cataractes avant d’arriver au balai tomoi (maison des étrangers), où l’on débarque pour se rendre à l’habitation de Toundan. Le fleuve longe la paroi occidentale du Pohon-Batou, qui le domine à pic de quatre cents pieds au moins. Il a dû s’ouvrir de force un passage à travers le roc dur, qui lui opposait une digue. Autrefois, dit une tradition populaire, le Baton-Souli barrait la rivière ; mais les poissons se plaignirent si fort d’être arrêtés par cet obstacle insurmontable, qu’à la fin un san-sang ou ange enleva de sa puissante main le Batou Souli et le transporta sur la rive du fleuve, où il est encore.

Traduit du hollandais par Beauvois.

(La fin à la prochaine livraison.)



  1. Traduit du livre intitulé : Bornéo : beschrijving van het stromgebied van den Barito, en reizen langs eenige voorname rivieren van het zuidoosteliijk gedeelte van det eiland. Bornéo : description du bassin du Barito, et voyages le long de quelques-unes des principales rivières de la partie sud-est de l’île, par le Dr C. A. L. M. Schwaner ; voyages faits pour le gouvernement des Indes néerlandaises, de 1843 à 1847. Amsterdam, 1854, chez P. N. Van Kampen. 2 vol. in-8, avec cartes et planches ; édité après la mort de l’auteur, par le professeur J. Pijnappel, aux frais de l’Institut royal pour la connaissance des langues, des pays et des habitants de l’Inde néerlandaise.

    Le docteur Schwaner, qui le premier fit par terre le voyage de Banjermasing à Pontianak, était né à Mannheim en 1817. Après avoir étudié en Allemagne et s’être mis en relations avec le Muséum de Leyde, il fut nommé membre du comité d’histoire naturelle de l’Inde néerlandaise et partit la même année pour Java. Le gouvernement colonial l’ayant chargé d’aller étudier l’histoire naturelle de Bornéo, il passa dans cette île en 1843, et y resta jusqu’en 1848, où il retourna à Batavia. Après avoir adressé aux autorités un rapport sur ses explorations scientifiques, il fut, en 1850, chargé d’une nouvelle mission dans la partie sud-est de Bornéo, et il était sur le point de s’y rendre, lorsqu’il mourut à Batavia le 30 mars 1850.

    (Note du traducteur.)

  2. Malgré les assertions de quelques géographes, il ne paraît pas que Bornéo nourrisse, à l’époque actuelle, des éléphants et des rhinocéros. En aucune des parties de l’île où des voyageurs dignes de confiance ont pu pénétrer, ils n’ont vu trace de ces deux grands pachydermes, pas plus que du vrai tigre (felis tigris, tigre royal). On ne rencontre dans les parties centrales et montagneuses de Bornéo qu’un seul carnassier de grandeur moyenne, le tigre longibande (felis macrocelis), fort inférieur en taille, en force et en voracité à la panthère commune (felis pardus). Temminck, Les possessions néerlandaises).
  3. Les revenus des sultans étaient autrefois fort illimités, quoique généralement précaires : pressurer leurs sujets, imposer arbitrairement des charges, exiger de fortes amendes en punition des plus légères contraventions, emprunter de l’argent aux grands de la cour ou aux chefs assez adroits pour avoir su s’en procurer, tels ont toujours été, entre les mains de ces despotes, les moyens de taire face aux dépenses des armements, à l’entretien des fainéants dont ils sont entourés, et à leur existence oiseuse, passée dans les délices du harem. Indépendamment des corvées et des livraisons de riz, de bois, etc., qu’ils imposent aux tribus des Dayaks, ils trouvent encore le moyen d’enlever à ces misérables aborigènes le peu qui leur reste pour subsister durant la mauvaise mousson. C’est alors qu’ont lieu ces expéditions dévastatrices et barbares que le souverain entreprend avec les princes de sa cour et à la tête des hordes armées contre les districts indépendants ; elles ont lieu dans le but de leur enlever le peu de denrées ou de produits de leur industrie qu’ils se sont réservés. Chacun pille et vole ce qui lui convient, et le malheureux Dayak, dépouillé de ses moyens de subsistance, est fort heureux s’il parvient à sauver sa liberté par une fuite précipitée. Ces princes font aussi des tournées avec leurs satellites armés ; ils donnent à ces excursions le nom de sarah’s (distribution de présents) ; le souverain distribue en effet quelques poignées de sel et des morceaux de fer ; mais, comme indemnité de ces cadeaux, il revient chargé des dépouilles de ses sujets qu’il laisse plongés dans la plus affreuse misère.

    (Temminck, Les possessions néerlandaises.)

  4. Les bilians cumulent avec les fonctions de chanteuses publiques, celles de devineresses, de magiciennes, de conjuratrices de mauvais esprits et de sages-femmes.

    (Temminck, loc. cit.)