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À la mère polonaise (traduction Ladislas Mickiewicz)

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À la mère polonaise
Traduction par Ladislas Mickiewicz.
Perrin et Cie (p. 163-164).


À LA MÈRE POLONAISE

Ô mère polonaise, lorsque l’œil de ton fils brille de l’éclat du génie, et que, sur son front d’enfant, se reflètent la fierté et la noblesse des anciens Polonais ;

S’il quitte le groupe de ses camarades pour courir vers le vieillard qui lui redit les chants d’autrefois ; s’il écoute, la tête penchée, quand on lui raconte les faits et gestes de ses pères :

Ô mère polonaise, ton fils se livre à de périlleux amusements… Agenouille-toi devant l’image de la mère des Douleurs, et regarde le glaive qui lui ensanglante le cœur : d’un coup pareil l’ennemi percera ton sein !

Car, que le monde entier jouisse de la paix, et que s’unissent gouvernements, peuples et opinions, ton fils n’en sera pas moins exposé à un combat sans gloire, à un martyre sans résurrection.

Hâte-toi de l’envoyer dans un antre solitaire, y méditer… et, étendu sur la dure, y respirer un air humide et vicié, y partager sa couche avec le reptile venimeux !

Il y apprendra à rentrer sous terre avec sa colère, à rendre sa pensée insondable comme l’abîme et à empoisonner tout doucement sa parole comme une exhalaison putride, à se composer l’humble maintien d’un serpent transi.

Notre Rédempteur, enfant à Nazareth, jouait avec la croix sur laquelle il sauva le monde : ô mère polonaise, ton fils, je l’amuserais avec ses jouets à venir.

De bonne heure, mets-lui des chaînes aux mains, fais-le, s’atteler à la brouette, afin qu’il ne pâlisse pas devant la hache du bourreau ni ne rougisse à la vue de la corde.

Car il n’ira pas, comme les anciens chevaliers, planter la croix triomphante sur Jérusalem, ou, comme les soldats du monde moderne, labourer le champ de la liberté et de son sang arroser la terre.

C’est d’un espion inconnu que lui viendra le défi ; c’est un tribunal parjure qu’il devra combattre ; pour champ de bataille, il aura un cachot sous terre ; et sa sentence, un ennemi puissant la prononcera.

Vaincu, pour monument funéraire il lui restera le bois desséché de la potence ; pour toute gloire, quelques pleurs de femme et les longs entretiens nocturnes de ses compatriotes.