Échalote continue/01/16

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Louis-Michaud, Éditeur (p. 189-197).

XVI

L’écurie Échalote.


Quiconque, par un piètre cadeau à sa maîtresse, a encouru le blâme, voire les injures de la dite maîtresse, doit, dans les vingt-quatre heures qui suivront, réparer par une nouvelle générosité la gaffe commise.

Quiconque a offert une somme d’argent insuffisante et, par cela même, froissé l’amour-propre de sa compagne, aura à lui remettre sa fortune intégrale sous peine de passer pour un mufle ou un poisson.

Quiconque n’a déshonoré que son nom devra entreprendre de salir celui de ses proches et faire en sorte que toute sa famille goûte à la boue qu’il lui plut de butiner parmi la poudre et le carmin de l’amante adorée.

Quiconque a mal formulé son amour, peut, par un suicide public, augmenter le tableau cynégétique où toute femme de joie qui mérite ce nom s’amuse à aligner les dindons saignés et les pigeons plumés vifs.

Tel est le catéchisme du parfait gentilhomme s’il tient à prouver ce que peuvent les chevaliers de la galanterie française.

Le midi bouillonnait dans les artères de M. Masespatat-Quantébist. En remontant très haut dans sa généalogie ce bourgeois avait fait la connaissance de lurons solides. Des Masespatat avaient porté la rapière et s’en étaient servis ; des Quantébist avaient défrayé la chronique du temps par leur audace amoureuse et la manière dont ils savaient batailler et mourir pour une Languedocienne de belle mine.

Lui-même, Narcisse, troisième de ce prénom dans l’auguste lignée, sentait sur son front d’archéologue le zéphyr d’une courtoisie ancestrale, et dans sa poitrine la bravoure des preux.

Combien de fois, devant une dame, n’avait-il pas agité son chapeau frivole selon le rite des mousquetaires, et combien d’autres fois, au sortir d’un rendez-vous libertin, n’avait-il pas drapé son macfarlane comme la cape de d’Artagnan ?

Un tel héros, inutilisé en un siècle de concorde, se devait d’étaler ses qualités sur les derniers terrains de la fanfaronnade. L’amour était son pré d’honneur et, seul ou à plusieurs, il voulait y ferrailler.

Le monument à Lolotte avait blessé son amour-propre. La faute n’en revenait qu’à lui, mais un homme de courage ne se dérobe pas aux conséquences de ses impairs. Il devait donc réparer la gaffe commise.

— Je t’ai fait don d’un chien qui te fut une cause de douleur, — dit-il un jour à Échalote, — je t’offrirai un animal plus majestueux qui rétablira ta joie…

Quel animal ? Il eût été embarrassé de le préciser, mais quelle que fût sa race et son pelage, il le voulait d’une valeur commerciale supérieure à un fox-terrier.

Quelques jours plus tard, alors qu’Échalote, désireuse de rester dans l’astral, ne tenait pas à accompagner le Biterrois dans sa promenade, celui-ci se rendit à Auteuil où se courait un modeste prix à réclamer. Deux mille francs, disaient les programmes. La bête qui le gagna se nommait l’Haricot.

L’Haricot était alezan avec trois balzanes. Trois : cheval de roi. M. Masespat-Quantébist eut la belle idée de l’acheter pour sa reine.

Le soir il revenait triomphant chez Échalote.

— Ma petite chérie devinera-t-elle la surprise que je viens de lui faire ?… Non ?… Je viens de lui acheter l’Haricot.

La bouche d’Échalote s’ouvrit en O majuscule.

— L’Haricot ?…

— Oui, l’Haricot, un cheval méconnu, mais qui aura sa revanche grâce à toi. Nous allons le mettre à l’entraînement et je crois bien, mon adorée, que tu triompheras aux courses.

Aux courses ! Échalote avait-elle bien entendu ?

— Quoi ! je serai propriétaire d’un cheval, d’un vrai cheval en viande, et il galopera, et je pourrai gagner le Grand Prix ?

— Ou un petit prix, mais qu’importe la grandeur si la bête est au poteau.

Ainsi un canasson vivait qui allait se présenter à Échalote pour lui montrer la route du grand chic ? Elle se souvenait de l’aspect des hippodromes alors que son mari en arpentait les pelouses, son carnet à la main, pour prendre des paris. De quel respect entourait-on les propriétaires d’écuries, et quelle auréole nimbait les rares personnes qui se permettaient le luxe de faire
L’Haricot.
courir ! Elle vivait dans un rêve, mieux, dans un Éden. Ah ! ce M. Masespatat-Quantébist avait vraiment le souci des convenances !

— Demain je te présenterai ton nouvel animal, — lui dit le Biterrois — et j’espère que vous serez fiers l’un de l’autre.

La connaissance se fit dans une écurie provisoire où M. Masespatat-Quantébist avait fait conduire son fringant cadeau. Échalote tint à distance, car elle craignait les coups de sabot, un beau discours à l’animal. Elle l’exhorta à bien se conduire, à être victorieux chaque fois qu’il en aurait l’occasion.

— Si tu me rapportes beaucoup d’argent, je te donnerai beaucoup de sucre. Tu entends, L’Haricot.

Le cheval jugea sans doute inutile de répondre et continua à saliver son foin.

En attendant que L’Haricot fût soumis à l’entraînement et aux formalités des réceptions sportives, Échalote fréquenta les hippodromes pour se mettre en forme, elle aussi. Elle avait besoin de prendre le ton de ces réunions, de voir comment la belle société y évoluait. Elle se commanda des toilettes trotteuses et un peu mâles, s’habilla de blanc pour arborer un deuil estival et se paya une lorgnette de marine.

On put la voir ainsi, toute une semaine, juchée soit sur les chaises de Chantilly, soit sur celles d’Enghien, du Tremblay et de Longchamps, suivre, à travers les lentilles grossissantes, la lutte des jockeys et de leurs montures.

En attendant la célébrité de son écurie, sa petite personne ne passait pas inaperçue. Sans la connaître encore on se la montrait, tant son maintien était cocasse et sa marche agitée. Elle trottinait du padock aux guichets avec des trémoussements de poule excitée, semblait-il, par l’étui de sa lorgnette qui, maintenu en bandoulière, lui tapotait le bas des fesses.

Enfin le grand jour des débuts de L’Haricot, sous les couleurs solférino et jaune paille de sa propriétaire, arriva. La bête était nerveuse sous les éperons de Jipatket, un apprenti qui promettait. Au signal du départ, Échalote sentit son cœur lui échapper pour rejoindre le lot de canassons.

Une trombe passa… L’Haricot y figurait, en bonne posture. Échalote se cramponna au bras de M. Masespatat-Quantébist. Elle n’osait plus suivre la course et la lorgnette pesait à son bras tremblant.

Soudain des cris de foule :

— Cristi, quelle bûche !

— Il y en a quatre par terre à la haie !

— Soupirail se relève !

— Souris-Blanche dérobe !

— L’Haricot ne bouge plus !

— L’Haricot ! — s’écria Échalote, — L’Haricot… je le prévoyais !

Un vertige, une faiblesse et elle s’affala sur la poitrine du Biterrois.

Cependant des inconnus étaient partis aux nouvelles. Ils les apportèrent mauvaises. L’Haricot avait fait panache et était tombé, une jambe brisée. Jipatket était sauf.

— Deux mille francs de fichu ! — fit Échalote en reprenant ses sens et en s’adressant à M. Masespatat-Quantébist. — Décidément, mon cher, vous avez la main malheureuse pour les bêtes. La prochaine fois que vous m’achèterez une ménagerie, je vous conseille de vous en tenir aux cochons de pain d’épices.

Et comme le malheureux amant se cherchait des excuses :

— C’est insensé,… je n’y comprends rien,… on m’a jeté un sort…

— N’insistez pas — reprit Échalote, — sans quoi j’arriverais à croire ce que je ne fais que supposer : Il y a des gens qui tuent les mouches à quinze pas, vous, vous asphyxiez de plus loin les bidets et les clebs. C’est un record.